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FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

V

Je passe sur d’autres accusations de même force, celle par exemple de s’être approprié le travail d’un certain Margane, que Furetière refute, comme il convient, du bout des lèvres, en démontrant d’abord l’insuffisance de l’original et ensuite en objectant que, s’il a dérobé Margane, il est donc innocent vis-à-vis de l’Académie. Mais pour en venir à des preuves plus sérieuses, pourquoi ravirait-on à Furetière le bénéfice de la confrontation qu’il a faite de son travail avec celui des académiciens ?

Pour nous borner aux dispositions en quelque sorte matérielles, quelles différences de plan, de méthode, d’intention ! Le Dictionnaire de l’Académie est classé par racines, celui de Furetière, par ordre alphabétique ; le Dictionnaire de l’Académie est un inventaire purement littéraire de mots en usage, destiné aux littérateurs et à la bonne compagnie ; il sacrifie peu à l’étymologie, il se contente de donner l’acception usuelle, le sens pur. Le dictionnaire de Furetière est par-dessus tout, étymologique, technique et scientifique. Furetière insiste avec raison et en toute occasion sur cette différence essentielle et sur ce caractère nouveau de son livre.

« Le principal mérite du Dictionnaire de l’Académie, dit-il, sera sa pureté et son exactitude. Il apprendra aux Français à parler correctement la langue, tandis qu’elle sera en un même état… » mais. « Il est certain qu’un architecte parle aussi bon français en parlant de plinthes et de stilobates, qu’un homme de guerre en parlant de casemates, de merlons et de sarrazines, qu’un courtisan en parlant d’alcôves, d’estrades et de lustres… cette ignorance de la plupart des mots de la langue et qui a donné une grande étendue au mot de chose, dont on se sert pour expliquer ce dont on ignore le nom… Cependant il n’y a rien dans la nature et dans les ouvrages de l’art qui n’ait son nom propre… Ainsi quand un bourgeois veut parler de ces grosses séparations de pierres qui se voient dans les vieux bâtiments, s’il ne sait pas le nom de manteaux que les architectes leur donnent, il dira grossièrement les choses de pierre… un mathématicien, pour parler de l’appui d’un levier, a recours au grec et l’appelle hypomoclion, parce qu’il ne sait pas le nom que lui donnent les ouvriers qui l’appellent orgueil et ainsi des autres. — L’Académie rejette tous les mots anciens qu’elle tient barbares, et elle n’admet que ceux qui sont maintenant en usage, dignes d’entrer dans les poëmes, les opéras et les belles conversations. C’est pourquoi le Dictionnaire universel est nécessaire pour conserver la langue tout entière à la postérité et sauver du naufrage le rebut de l’Académie. Il fait entendre les mots obscurs et difficiles qui se trouvent dans les livres de toutes sortes de sciences, qui arrêtent