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FURETIÈRE ET L’ACADÉMIE FRANÇAISE.

IV

Furetière dit dans ses apologies (et ces faits n’ont point été contredits) que son Dictionnaire lui a coûté quarante années de travail ; qu’il y a employé jusqu’à seize heures par jour. Il affirme, à la date de janvier 1689, qu’il a fait voir, il y a trois ans, l’ouvrage tout achevé ; que le manuscrit remplissait quinze caisses, où, depuis ces trois ans, plus de deux mille personnes l’ont vu ; que des libraires ont enchéri, pour l’avoir, jusqu’au prix de dix mille écus ; il expose enfin que la révision de l’ouvrage prendrait plus de trois années à quelqu’un qui y donnerait tout son temps ; qu’on ne saurait le lire en un an ni le recopier en deux, et qu’il faudrait au moins trois ans pour l’imprimer à deux presses.

Ces allégations qui, je le répète, n’ont point été contredites, et qui toutes d’ailleurs reposent sur un fait matériel — l’étendue et le volume de l’ouvrage — n’écartent-elles point suffisamment l’hypothèse d’un travail précipité ?

Comment croire, après cela, à cette autre anecdote rapportée par ce même Charpentier dans son Dialogue, d’une prétendue conversation de Furetière avec Mézeray au sortir d’une séance, et dans laquelle tous deux, mécontents de leurs confrères, auraient résolu d’entreprendre un dictionnaire en concurrence à celui de l’Académie ?

Il est à remarquer ici que dans le pamphlet ignoble de Charpentier, Mézeray partage jusqu’à un certain point la disgrâce de Furetière. Mézeray étant officier de l’Académie (Furetière ne dit point à quel titre), avait rédigé un mémoire par articles, aux termes duquel tout ce qu’il y avait alors d’imprimé du Dictionnaire de l’Académie devait ètre détruit et recommencé, comme entaché de fautes et d’ignorances grossières, (sic) trop nombreuses pour ètre rectifiées par des erratas ou par des cartons. Ces conclusions sévères avaient naturellement déplu à la congrégation jetonnière, toujours pressée d’aller vite en besogne, et peu disposée à revenir sur ses bévues. Si l’acrimonie est moins vive contre Mézeray que contre Furetière, c’est que d’abord Mézeray était mort, et qu’ensuite, comme le remarque Charpentier, il avait renoncé au projet d’un dictionnaire particulier.

Le nom de Mézeray est une seconde fois invoqué dans le dialogue pour servir de preuve ou de témoin à une imputation ridicule, mais qu’il faut cependant citer pour donner une idée de la bonne foi et de l’intelligence des accusations de Charpentier.

Les premières feuilles du Dictionnaire de l’Académie que Mézeray voulait qu’on supprimât comme fautives, et qui furent en effet supprimées quelques années plus tard, avaient été tirées à douze cents exemplaires, dont un petit nombre seulement avait été distribué aux membres de l’Académie. Peut-être l’honneur du