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LE PRÉSENT.

Presse. Les disputes, les polémiques de plus en plus fréquentes, les pamphletsde plus en plus nombreux à l’époque dont je parle marquent l’agitation précipitée d’une littérature en enfantement d’une forme nouvelle. Quand le moment sera venu d’étudier les origines du journalisme en France, c’est assurément dans les correspondances, dans les diatribes, dans les pamphlets qu’il les faudra chercher. Et parmi les derniers, ceux que nous réimprimons aujourd’hui devront être l’objet d’une attention et d’une étude particulières.

Les pamphlets de Furetière, en effet, son Apologie, ses Placets, — je laisse à dessein de côté ses Allégories, reflets pédantesques d’une forme usée, — attestent un progrès considérable dans le style du pamphlet. Toute une révolution des mœurs et du langage, Balzac et l’hôtel de Rambouillet, ont passé par là. Ce n’est plus la langue envenimée, la violence aveugle, l’âpre invective des polémistes du xvie siècle. Lui-même, Furetière, prend soin de le faire remarquer en répondant aux accusations injustes de ses adversaires, qui voulaient à tout prix le faire passer pour un libelliste et un diffamateur. « Accusé, dit-il dans son dernier placet, j’ay esté obligé de me justifier, et je ne l’ay pû faire plus modestement qu’en faisant connoître au public qu’ils étoient des ignorants, et que leur livre étoit si méchant qu’il n’y avoit rien qui méritât d’estre volé… Mais je n’ay fait aucun reproche à mes parties qui regardât les mœurs ; je ne les ay point accusés d’estre faussaires, ny adultères, ny malhonnêtes gens. » — « Quoy que (ajoute-t-il) ce ne soit pas faute de matière, ny de preuves. »

Furetière se plaint ailleurs d’un gros libelle circulant à milliers de copies dans lequel il est traité, dit-il, de bélitre, maraud, fripon, fourbe, buscon, saltimbanque, infâme, traître, fils de laquais, impie, sacrilége, voleur, subornateur de faux témoins, faux monnoyeur, banqueroutier frauduleux, faussaire, vendeur de justice, etc.[1].

Furetière ne prend pas la peine de réfuter ces calomnies ; il ne les relève que pour mémoire. Mais on peut dire que sa vie si studieuse, ses occupations, ses goûts, et par-dessus tout ses amitiés fidèles avec tant d’hommes illustres et d’hommes de bien, avec Boileau, avec Racine, avec Huet, avec Ménage, avec Patru, lui sont une caution suffisante. Somme toute, en comparant le langage de Furetière avec celui de ses antagonistes, il est impossible de ne pas trouver sa modération égale à sa verve, et son bon goût égal à sa conviction. D’un côté, l’injure grossière, aveugle, descendant jusqu’à l’ignominie et à la saleté ; de l’autre une satire, vive sans doute, mordante souvent ; une ironie tantôt vive, tantôt froide, arrivant par la naïveté aux effets les plus comiques ; un talent de caricaturiste impayable ; des portraits, des tableaux que je citerais si le lecteur ne pouvait, en tournant ces pages, les trouver tout entiers ; mais tout cela contenu

  1. Dernier Placet et très-humble remontrance à Monsieur le Chancelier.