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LE PRÉSENT.

« Je suis, écrivait le maréchal au mois d’août 1854, je suis au milieu d’un vaste sépulcre, faisant tête au fléau qui décime mon armée, voyant mes plus braves soldats s’éteindre au moment où j’ai le plus besoin d’eux, et n’en continuant pas moins les préparatifs d’une expédition formidable. Y a-t-il eu dans l’histoire beaucoup de situations semblables à la mienne ? Mon moral et mon énergie du moins s’élèveront à sa hauteur. Dieu, qui me frappe d’une main, me soutient de l’autre. Ma santé n’a de longtemps été meilleure au milieu des chagrins et des soins qui me rongent, et que je dévore en secret, la mort dans le cœur, le calme sur le front. Voilà mon existence… Et moi, témoin de toutes ces plaies, de toutes ces misères, moi, brisé par la douleur physique, usé par le travail, je résiste, et l’on dirait que je me fortifie de toutes ces santés qui s’en vont. »


Après le choléra un autre désastre éprouva le maréchal, l’incendie de Varna.


« Pendant treize heures, dit-il, nous avons été entre la vie et la mort. Les flammes léchaient les murailles de nos trois magasins à poudre, français, anglais et turc. Les munitions pour toute la guerre étaient là, huit millions de cartouches ! Quatre fois j’ai désespéré, j’ai hésité à prendre le dernier parti, faire sonner la retraite, signal du sauve qui peut. Dieu m’a inspiré ! J’ai résisté, j’ai lutté, j’ai envoyé mes adieux à toi et à tous, et j’ai attendu le saut. Rien ne m’aura manqué : le choléra, le feu ; je n’attends plus que la tempête pour la braver aussi ! »


Ce dernier mot semble sortir de la bouche et du cœur d’un héros de Corneille. Aucun genre de beauté ne manque à ces derniers moments à la physionomie du Maréchal. Dans son âme semblent s être donné rendez-vous tous les nobles sentiments, toutes les passions fortes pour faire face à la plus terrible situation qui fut jamais.


« J’ai vu mes amis, mes compagnons d’armes, mes soldats qui sont mes enfants, moissonnés comme par la foudre, et je suis resté debout sur cet ossuaire. »


Par moments le repos lui montre son séduisant mirage.


« Ah ! Montalais ! Ah ! Malromé ! quand m’envelopperai-je tout entier de votre quiétude si douce, loin des affaires, des soucis et des hommes ! »


Mais bientôt il se laisse reprendre à l’espoir, à la confiance.


« La plus redoutable flotte que depuis longtempson ait vue, si l’on en a vu de pareille, voguera vers la Crimée pour y vomir, en vingt-quatre heures, à la barbe