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LETTRES DU MARÉCHAL SAINT-ARNAUD.

reur l’honneur d’aller chercher en Orient. C’est ici que l’horizon s’ouvre tout à fait, et que l’officier intelligent va disparaître dans le grand homme de guerre et dans le héros. Une grande douleur l’avait mieux préparé encore. Comblé d’honneurs, ministre, maréchal de France, grand écuyer de l’Empereur, il avait perdu ce fils sur la tête duquel il avait fait reposer tant d’espérances.


« Cher Henri, écrivait-il à un ami affligé de la même douleur que lui, le même malheur qui t’a frappé et dont tu souffriras toujours est venu m’accabler. Je n’ai plus de fils ! Je vais rouvrir toutes tes plaies ; mais à qui veux-tu que je dise mes tortures, si ce n’est à mon meilleur ami ? Pleurons ensemble, ami, car pour des consolations, pour du bonheur, il n’en est plus pour nous. J’étais trop fier de lui, trop heureux par lui. Dieu m’a frappé, Dieu me l’a retiré. Sa volonté soit faite !… mais elle est par trop cruelle ! »


Visité d’une pareille souffrance, le maréchal, qui devait offrir dans cette dernière partie de sa vie l’image achevée du héros chrétien, était revenu à la foi. Il n’avait jamais été insensible à la poésie de la religion et aux grandeurs du christianisme.


« J’ai un aumônier, écrivait-il du bivouac de Raz-Gueber, l’abbé Parabère, que je viens de faire recevoir cheyalier de la Légion d’honneur devant la deuxième brigade. Il va nous dire la messe en face d’un vieux temple chrétien. Toute l’armée y assistera. Est-ce que tu ne trouves pas qu’on élève mieux son âme vers Dieu en plein air que dans une église ? Le vrai temple de Dieu, c’est la nature. L’abbé Parabère est enchanté de dire sa messe. Moi, je penserai à vous tous, à ma femme, à mes enfants. »


Le temps était venu enfin où Dieu le sommait de penser à lui ; et jamais homme n’eut plus besoin de la force surhumaine que donne la foi. Ce fut sous le coup d’un perpétuel martyre, en lutte avec toutes les angoisses de la maladie, dans la familiarité terrible d’une continuelle agonie, qu’il eut à surmonter les plus grands obstacles qui se soient jamais opposés à une entreprise. Il avait à exercer le commandement de cent mille hommes à huit cents lieues de la mère patrie, à pourvoir à mille détails d’administration, à préparer la victoire, à chercher le défaut de la cuirasse d’un invisible ennemi ; mieux que tout cela, il eut à sauver son armée. Le choléra s’abattit sur elle et y fit de vastes moissons.