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LETTRES DU MARÉCHAL SAINT-ARNAUD.

juger ; qu’elle germe et grandisse, son rôle d’homme d’Etat est expliqué.

M. de Saint-Arnaud ne se contente pas de faire la guerre, de faire de la politique à lui et par avance, il fait encore des vers. Il y a un commencement de poëte dans cet officier accompli ! À une distribution de drapeaux présidée par M. le général Meunier, vétéran de l’empire, après le déjeuner et au dessert, il écrit au courant de la plume, sur un coin de table, au milieu des rires et des plaisanteries, des couplets patriotiques. Je mentirais si je disais qu’ils sont bons, mais après tout il ne sont pas trop méchants, et l’auteur lui-même en fait si bon marché !


« Critique, mon ami, critique, écrit-il à son frère, en lui envoyant sa muse guerrière, c’est mauvais, je le sais. Dans tout cela, il y a trois idées ; le reste est remplissage, tiré par les cheveux, détestable ; mais le vieux général pleurait et il est venu m’embrasser. C’est payé bien plus cher que cela ne vaut. »


Un an plus tard, le poëte se fait traducteur. En 1833, il fut envoyé à Blaye où le général Bugeaud gardait la duchesse de Berry. Il lui traduisit, au pied levé, en trois langues, un petit ouvrage de lui, intitulé : Aperçu sur l’art militaire. Le général fut enchanté et donna au jeune lieutenant, « à table, devant quinze personnes, sa parole d’honneur que si jamais il avait une ambassade, il le présenterait pour son secrétaire. » De là date l’amitié constante que porta le vainqueur d’Isly au vainqueur de l’Alma. M. de Saint-Arnaud signa au procès-verbal de délivrance de madame la duchesse de Berry et fut chargé de l’accompagner jusqu’à Palerme. Ces missions délicates ne lui plaisaient que médiocrement ; bien qu’il fût tout à fait homme du monde, cavalier parfait, et l’un des officiers de l’armée les plus propres à ces fonctions, il préférait de beaucoup pourtant son régiment et la vie tout à fait militaire : non pas la vie de garnison, elle lui pèse et lui répugne ; il lui faut à tout prix le combat et les émotions de la fusillade. Aussi, quand il eut mis le pied en Afrique, il se sentit dès le premier moment sur son terrain. Il y débarqua le 15 janvier 1837, et, capitaine la même année, il gagnait la décoration sur la brèche et dans les rues de Constantine. Le récit qu’il a fait de ce siége est admirable. Jamais l’enthousiasme de la valeur et du danger n’a parlé une langue plus mâle, plus rapide, plus vibrante, plus chaude, pour tout dire en un mot, plus