Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/457

Cette page n’a pas encore été corrigée
449
LE SPHYNX.

meil. Le sourire de M. de Brennes et sa question ambiguë avaient frappé juste : madame du Songeux comptait les minutes avec angoisse. Il était à peine huit heures du matin lorsqu’elle envoya supplier le maire et madame Éléonore de venir la voir. — Le malade, depuis le lever du jour, avait ouvert plusieurs fois les yeux ; il attachait de temps en temps sur sa fière gardienne un regard si plein d’ironie, qu’elle commençait à en être inquiète. Elle avait voulu lui parler ; il avait fait signe qu’il n’entendait pas encore. Georges tout à coup se précipita dans la chambre. L’artiste tenait une lettre à la main ; il marcha tout droit au lit d’Arsène, sans s’arrêter près de sa sœur ; il montra la lettre à son ami : dans sa grande agitation, il avait oublié que celui-ci n’était point en état de la lire. Mais il la fit disparaître lorsque Anna s’approcha, et il sortit de la chambre, comme il y était entré, sans avoir dit un seul mot.

Aussitôt qu’il se retrouva seul dans les jardins, il déploya de nouveau le mystérieux billet…


« Monsieur, y était-il dit, je vous supplie de ne pas condamner trop légèrement la démarche que je fais auprès de vous. Songez que j’ai le triste privilége de n’être plus une femme ordinaire : de grands malheurs m’ont jetée dans l’exception. — Eh bien ! j’ai besoin de vous voir et de vous parler.-Je ne vous connais pas ; mais, parmi les sottes rumeurs qui courent ici sur chacun et que j’entendais malgré moi lorsque j’avais encore une famille et des amis, je crois avoir démêlé sans peine ce qui est vrai quant à votre caractère. J’ai deviné en vous de la bonté de cœur, et c’est à elle que je me confie. Venez donc à dix heures à la Maison-Grise. — Vous entrerez, sans être vu, par la petite porte qui s’ouvre sur la campagne. — Hélas ! peut-être ne viendriez-vous point, si je ne vous donnais cette assurance que personne ne vous verra venir. Encore, une fois, monsieur, ne me blâmez pas avant de m’avoir entendue. Il a fallu, pour me décider à vous écrire, que mes inquiétudes et celles de ma mère fussent bien vives, et que je sentisse un grand regret au fond de mon cœur.


« Votre servante,
« Julie MOREAU. »