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LE SPHYNX.

blait grandement émue ou singulièrement irritée plutôt de ce qu’elle écrivait. Arsène ne voyait que de profil son visage qui s’animait de plus en plus ; sa chevelure pâle, entièrement dénouée, retombait comme un flot de soie sur sa nuque opulente et ferme ; son col trop court, il est vrai, s’appuyait lourdement sur ses épaules, mais il était d’une blancheur si diaphane et si vraie ! Quoique ses épaules fussent placées trop haut, madame du Songeux avait, dans certains mouvements de la tête, une grâce féline qu’Arsène avait remarquée plusieurs fois. Après trois jours d’une horrible léthargie, il se réveillait tout à coup. À ses côtés, une femme était assise, celle-là même qui l’avait soigné comme un frère : ne devait-il point la trouver belle ? Anna vraiment était mille fois mieux ainsi, au milieu des ondes de mousseline dont l’environnait son peignoir, que dans les falbalas ridicules qui lui servaient d’ordinaire à draper à la normande ses prétentions de grande dame. Sa taille gagnait à n’être plus captive dans une prison de baleines et d’acier, et son embonpoint même lui assurait le bénéfice d’une beauté de plus, celle du bras, qu’elle avait admirablement bien fait. Arsène regardait ce bras nu que, par un geste d’une grâce assez rare en elle, la jeune femme tenait alors paresseusement recourbé au-dessus de sa tête, car elle avait cessé d’écrire.

En vérité, ce ne fut pas à Julie Moreau qu’il songea en se réveillant de la longue léthargie où son mal l’avait plongé. Déjà il se sentait la force de parler, et il allait appeler Anna. — Mais madame du Songeux quitta brusquement sa place. On frappait tout doucement à la porte de la chambre. — La porte s’ouvrit : M. de Brennes entra.

— Qui vous a permis de venir jusqu’ici ? s’écria la jeune femme en reculant involontairementde quelques pas.

— Je venais vous faire mes adieux, répondit-il simplement.

— Voyez donc comme nous nous rencontrons, dit-elle avec un sou. rire forcé et en montrant sa lettre qu’elle venait de plier ; je vous envoyais les miens.

Le gentilhomme ne répliqua pas ; il regardait curieusement le fond de la chambre où s’élevait le lit d’Arsène.

— La santé de mon hôte vous intéresse ? fit Anna.

— Je désire qu’il vive, et qu’il vive heureux, dit M. de Brennes en appuyant avec affectation sur son dernier mot.