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LE PRÉSENT.

heure. — Quelquefois on la voyait passer dans sa maison, silencieuse, distraite, presque douce avec ses gens, qui s’en épouvantaient, et bien vite elle remontait à la chambre d’Arsène. — Ses inquiétudes avaient fait d’elle une autre femme, mais elle aimait à montrer qu’elle était inquiète, et, devant Georges, et les médecins surtout, elle s’ingéniait à trouver pour le malade des soins que la femme ou la sœur la plus tendre n’auraient pas devinés. La quatrième nuit vint ; la potion du docteur de village avait fait merveille : Arsène était calme, il demeurait seulement inerte sur son lit, et il ne voyait pas ; et ce regard que madame du Songeux avait surpris, comme un éclair, au fond de son œil éteint, ne s’était plus ranimé. — Anna disposa tout pour passer cette nuit encore auprès de lui.

Sa femme de chambre, qui l’avait aidée jusque-là, venait de se retirer sur son ordre. Demeurée seule, Anna s’approcha d’abord du lit, puis, au bout d’un instant, elle courut à la table : elle écrivit. Tout à coup, Arsène poussa un soupir, ou plutôt un son étrange, à demi articulé comme un sanglot, sortit de ses lèvres glacées, et il eut un tressaillement si brusque, que la jeune femme, encore une fois tout effrayée, se releva. Elle vint à lui, il était redevenu immobile et ne semblait plus même respirer. — Elle retourna lentement vers la table : à peine avait-elle repris sa place, que le bel Onfray rouvrit les yeux. Son regard erra d abord dans la chambre. C’était une immense pièce arrangée par Georges dans le goût d’autrefois. L’artiste y avait fidèlement observé la couleur locale ; il y régnait même cette atmosphère mélancolique et pénétrante, que dégagent toujours les vieilles œuvres de l’homme, les belles choses qui demeurent et qui ne vivent plus. Des tapisseries à personnages pendaient à la muraille, contre laquelle se dressaient de grands meubles de chêne noir. Laflamme, qui pétillait sous le manteau de pierre de la cheminée, jetait sur ces fantômes du passé des lueurs inquiètes, tandis que les ombres qui se croisaient avec elles jouaient tristement autour du lit. — Arsène, l’homme des idées et des modes modernes, frissonna tout en songeant qu’il aurait pu mourir dans cette chambre sombre, tandis que le soleil brillait sur le boulevard des Italiens, et qu’il y avait encore des tentures fraîches dans son appartement de la rue Bergère. — Il aperçut Anna toujours penchée sur la table et faisant courir sa plume, dont le grincement nerveux était le seul bruit au milieu de ces heures silencieuses. La jeune femme sem-