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LE SPHYNX.

— Hé bien ! messieurs, fit Anna, lasse déjà de la contrainte qu’elle avait elle-même voulu s’imposer.

— Vous n’avez jamais rencontré de cas semblabledans les hôpitaux, durant votre internat à Paris ? dit malicieusement à l’autre le plus vieux des deux médecins.

— La jeunesse et la force du malade le sauveraient-elles toutes seules ? répliqua le docteur à la mode ; telle est la question : il y a, du reste, mille moyens.

— Je n’en connais qu’un seul, et je le tiens d’une bonne femme, continua le vieillard à l’oreille de son compagnon. La médecine, mon cher confrère, est, de toutes les sciences de notre temps, celle qui a fait les plus grands prodiges, et c’est pour cela qu’elle devrait cesser enfin d’être orgueilleuse. Ici nous n’avons point affaire à une maladie classée dans les livres. Ah ! si nous connaissions la nature aussi bien que ces gens simples dont on se moque à l’École… Allons, allons, essayez de ma potion, la Faculté n’en saura rien.

Arsène poussa un long gémissement, et madame du Songeux, qui frémissait, renouvela sèchement sa question.

— Eh bien ! messieurs ?

— Le malade guérirait certainement sans nous, répliqua le médecin de la ville.

— C’est cela, fit l’autre ; — si notre ordonnance réussit, dit-il à Georges, faites-le savoir au plus tôt à monsieur mon confrère et à moi. Cher confrère, il pourrait vous arriver, dans vos courses à la campagne, de rencontrer un méchant reptile, vous garderez la recette. — Ne prenez pas d’inquiétude, ajouta-t-il tout bas en se retournant vers M. de Kœblin, votre ami souffrira beaucoup, mais il vivra.

Georges revint auprès de sa sœur, lorsque les médecins furent sortis. Elle était penchée sur le lit. Un regard enfin lucide venait de s’échapper des yeux du malade.

— Georges, s’écria-t-elle, il n’y a que moi qui le sauverai.

Georges appuya sa main sur l’épaule de la jeune femme.

— Enfin, lui dit-il, voici donc un cri de votre cœur ! Le Sphynx aurait-il cessé d’habiter en vous ? Sauvez Arsène, sauvez-le comme vous l’entendrez. Je ne puis vous blâmer, ma chère : n’êtes-vous pas libre ?

Anna ne répondit point. — Durant trois nuits elle refusa obstinément de quitter le chevet du malade ; le jour elle dormait à peine une