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LE SPHYNX.

des jeunes arbres qui se berçaient sur la hauteur. Arsène n’avait point encore aperçu son visage ; mais il lui trouvait une grâce exquise d’attitude et de geste, et il la comparait involontairement à madame du Songeux. Julie était très-grande ; sa main semblait pourtant fort mignonne. Arsène découvrit encore un pied long, mince et bien fait qui sortait du flot sombre de ses jupes… Tout à coup il jeta un cri… Sur la robe de la jeune femme il venait de voir une vipère !

Un autre cri poussé par Julie répondit au sien. Elle ne vit d’abord qu’un homme seul avec elle au fond du bois, et ses yeux, par un mouvement instinctif, s’abaissèrent… Alors elle aperçut le hideux reptile ; elle voulut se lever, folle de terreur, mais elle demeura comme attachée au sol, n’ayant plus la force de crier. — Arsène était à ses côtés. La vipère enroulée allait se détacher d’elle-même, mais elle pouvait, en tombant, rencontrer le pied de Julie. — Arsène s’élança pour la saisir… Il ne put l’étreindre assez près de la tête ; elle glissa dans sa main… Il était mordu.

Le jeune homme ne manquait pas de ce courage qui commande aux émotions où la vie est en péril. Tandis que Julie, pâle, tremblante, le regardait d’un œil vide, sans pouvoir faire un pas vers celui qui l’avait sauvée peut-être, il détacha froidement sa cravate et s’en servit pour se lier fortement le poignet. Julie avait retrouvé déjà quelque force ; elle s’élança vers le jeune homme, qui s’était écarté pour ne point l’épouvanter ; elle lui saisit la main et se mit à presser de son mieux la dangereuse blessure ; puis elle le regarda encore.

— Vous êtes brave, lui dit-elle d’un ton singulier.

Arsène avait vraiment oublié le danger très-sérieux qu’il courait à perdre du temps auprès d’elle ; il la contemplait avidement. Julie n’avait point de beauté, mais une physionomie toute pleine d’un charme sauvage, avec des traits presque mièvres pourtant ; ses grands yeux de couleur indécise se remplissaient de larmes.

— Ce n’est pas sans remède, disait-elle, on en guérit toujours ; mais, monsieur, au nom de votre mère, si elle vit encore, ne demeurez pas ici. — Venez, je vais vous conduire au château de Bougy, qui est l’habitation la plus proche.

Elle prit de nouveau la main d’Arsène, la main blessée ; elle le força de gravir la pente de la ravine, et se mit à courir dans l’avenue en l’entraînant sur ses pas. Le jeune homme remarqua combien elle était