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LE PRÉSENT.

Étienne Pasquier nous cotte ces sept vers pour deux causes : « L’une, afin que l’on sache en quelle recommandation étoit Hélinand, veu qu’entre tous les poëtes françois on le nomme particulièrement pour chanter quelque belle chanson devant le roy ; l’autre, pour vous montrer quelle étoit la texture des vers aux œuvres de l’histoire des grands que vous voyez estre faits d’une longue suite de mêmes rimes. » (Recherches de France.)

De la race irritable et mobile des poëtes, Hélinand possédait un de ces caractères fougueux, impatients de tout frein, se jetant d’un travers dans un autre, et dont l’activité a besoin de brusques transitions. Il s’était fait baladin pour demander avec plus de loisir à la volupté tous les secrets de son raffinement. Une fois la coupe épuisée, le renom que lui avaient valu ses extravagances et son attrait de chanteur ne lui suffisait plus : il était blasé.

En ce sens que les extrèmes se touchent, l’austérité chrétienne devait tenter l’ardeur de ce tempérament émoussé par le plaisir et avide de se retremper à des sources inconnues. Hélinand tomba donc en religion et devint le modèle édifiant de l’abbaye de Froidmont, ordre de Cîteaux, qui plus tard le canonisa. Le ménologe de cet ordre marquait la fète de ce nouveau saint au 3 février.


Mors qui m’a mis muer en muë
En tel’estuve où li cors sue
Ce qu’il fist au siegle d’outraige.
Porce ai changié mon usaige
Et ai laissié et jeu et raige :
Mal se mouille qui ne s’essuë.


Ainsi nous raconte-t-il sa conversion en tête d’une Monodie de la mort qu’il écrivait.

Ce n’était plus le jongleur d’autrefois, livrant au caprice des vents les strophes d’amour et de gaieté qui déridaient dans leurs ennuyeuses cours les seigneurs et les rois. De toutes ces poésies légères, fugitives, qui ne devaient pas être les moins belles sous l’inspiration du jeune et insouciant troubadour, il ne nous reste que des vers sur la mort. Nous cherchions des fleurs et n’avons retrouvé qu’un cyprès ; à la place du barde enthousiaste, le reclus de Froidmont.

En 1594, Antoine Loisel fit imprimer ces vers écrits en langue vulgaire, mais sur un manuscrit défectueux. Les strophes n’ont quelquefois que dix ou onze vers au lieu de douze. Un manuscrit de la Bibliothèque impériale porte onze strophes de plus que l’imprimé, et c’est d’après lui que M. Auguis, dans le tome second des Poètes français depuis le xiie siècle jusqu’à Malherbe, a reproduit le poème sur la mort en cinquante-quatre strophes.

Ce poëme a été récemment attribué à Thibaut de Marly par M. Ampère, et nous croyons que c’est à tort. L’erreur de M. Ampère vient de ce qu’il a confondu