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CRITIQUE.

tués par le soleil trop chaud pour eux, ou par la foudre qui n’a point de pardon, ou par le dégoût d’eux-mêmes.

Où vais-je ? où suis-je ? comme disait le vieux Corneille. Je voulais entretenir le lecteur des poésies complètes de M. Théodore de Banville, un obstiné, qui nous offre au moins trois livres en un seul, les Odelettes, les Cariatides et les Stalactites, mais revus et corrigés, comme on dit, et augmentés d’un chef-d’œuvre, la Malédiction de Vénus. On voudrait pouvoir citer, mais peut-être les citations sont-elles une injure, et, à ce propos, je me rappelle le mot de madame de Sévigné sur les Fables de la Fontaine : « C’est une corbeille de cerises ; choisissez les plus belles, vous les prendrez toutes. » Prenez tous les vers de M. de Banville, lisez-les avec cette curiosité du goût qui cause tant de plaisir et de peine, et, cela fait, vous me remercierez. Le poëte est un maître ès-langue française, délicat, un peu chat, qui badine et jongle avec cette admirable prosodie où les initiés seuls ont vu clair. Il sait tout, et si un secret semble lui échapper, ce n’est que pour avoir l’air de railler son lecteur. Le souffle d’une Italie idéale a passé dans cette imaginationheureuse ; on entend gazouiller dans ses strophes des musiques vagues et lointaines ; on lui est reconnaissant d’aimer les belles choses, le soleil, les marbres grecs, le vin qui querelle le verre des bouteilles et les femmes qui font la guerre aux cœurs. Il est difficile, j’ose dire impossible, d’égaler le talent de M. de Banville ; mais j’aime assez les poëtes pour regretter le manque de sentiment dans ses vers bénis de la muse. On aura beau dire bien haut que l’on a tel ou tel tempérament, qui ne peut pas être loin de soi-même, je reprocherai toujours à un poëte de ne pas avoir dans le poitrine ce battement qui est la source de la vie, de la douleur, des larmes. Du reste, nous n’inventons rien, et M. Henri Cantel, dans la Revue française, l’a dit nettement à M. de Banville, et ses vers valent la peine d’être cités. C’était, dans la langue imparlée, de la critique fraternelle et courtoise ; mais, si je ne me trompe, assaisonnée d’un peu de malice qui n’a nui ni à M. Henri Cantel, ni à M. de Banville.


Tu tournes tes fraîches pensées
Vers l’Orient ;
Tes larmes, tu les as versées
En souriant.

La vie a, pourtant, son supplice,
Ses noirs ennuis,
Quand débordent de son calice
Les jours enfuis ;

Lorsque l’on voit de lassitude
Mourir sa foi,
Et s’élargir la solitude
Autour de soi.