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LE PRÉSENT.

arguties, parce que l’on ne discute pas les poëtes. Laissez-les chanter, loin du monde, sans se soucier des passions fatigantes et de la vie plus fatigante encore ; écoutons-les avec dévotion, pardonnons-leur les faiblesses qui arrivent aux bonheurs de l’anthologie, et si un de leurs vers a treize pieds, disons tout haut qu’il est trop court parce qu’il est charmant.

Il y aurait ici, à l’occasion du livre de M. Th. de Banville, de quoi dire beaucoup de choses, de quoi citer ceux qui sont la gloire de la poésie ; mais j’aime mieux ces familiarités de la critique qui aime, loue, cause avec l’auteur, ne va pas lui mettre la main dans le cœur et se contente de sourire avec lui. On pourrait, en pareils cas, remuer les cendres où sommeille doucement la littérature de 1830, agiter les plis de ces drapeaux jaloux, où ont ferraillé tant de grands esprits ; mais il est mille et une fois préférable de laisser le passé dans son ombre, de n’écouter que son admiration et de ployer le genou devant les poëtes qui ont l’audace, dans ce temps d’oubli et de dédain, d’être poëtes pour plaire à Dieu et à eux-mêmes. On n’aime pas beaucoup les poëtes en France, pour plusieurs raisons, un peu parce qu’on ne les comprend pas, un peu parce qu’on est blessé par ces indépendants qui savent le secret de la vie, qui vous jettent leur cœur tout saignant au nom de l’humanité, qui rèvent des mondes impossibles par-delà les horizons bleus, qui veulent chanter les mélodies innommées et qui sont admirables parce qu’ils ont la nostalgie du ciel, la patrie des souffrants et des aimants.

M. Théodore de Banville est un de ces amoureux des mondes perdus ou trouvés, comme on voudra, un chercheur d’idéal et qui croit qu’en ce monde la poésie est la plus belle des choses. Heureuse nature, et douée ! Il voudrait, si c’était possible, n’être pas poète, il aie diable au corps, ce ciseleur, ce musicien, qui avec des mots fait des airs que personne n’a chantés. Cher poëte, je ne vous connais pas et je puis vous louer à cœur ouvert, de grand cœur, je vous jure, et même c’est une chose hygiénique que la louange. C’est une fête pour l’esprit qu’un beau livre, et le vôtre en est un plein de séductions, gai, sain, attirant comme les sirènes. De notre temps, il y a trop de poëtes, de rimeurs qui veulent récompenser leurs familles de dix ans d’ennui de collége, touchante sollicitude ! On désirerait un peu d’abandon, de franchise et même de naïveté, et il faudrait que chacun suivît sa voie, sans se gêner des ennuis de la gloire et des stérilités de l’ambition. Ils arrivent ces jeunes hommes, avec leurs vingt ans en fleur, et, au lieu de songer à vivre, ils s’amusent à s’émietter et à se dépenser d’une manière inutile pour eux et peu consolante pour autrui. Je comprends la cruauté tendre des mères qui tremblent à la seule pensée que leur fils touchera à du marbre, à de la couleur ou à de l’encre, et je suis d’avis qu’on doit crier ; gare ! à ces jeunes imprudents qui, sans être rois, se précipitent dans le grand chemin des lettres. Pauvres enfants ! Presque tous meurent en route, les uns