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LE PRÉSENT.

ŒUVRES COMPLÈTES
DE M. THÉODORE DE BANVILLE.[1]

Les livres sont rares, dit-on partout, et l’on a raison, et même c’est un bonheur que les belles choses sorties du cœur ou de la pensée ne soient pas sous les pieds du premier venu. De temps en temps, par occurrence, on ne sait pourquoi ni comment, naît un livre, fleurit un poëme, et la foule, cette ingrate, comme parle un poëte, ouvre ses mains, quelquefois son cœur, applaudit et vous jette son amour avec un certain dédain. Peu de gens savent ce que c’est qu’un livre ; peu de gens le comprennent ; tant pis ! peut crier la foule amoureuse des vieilles sottises et des livres qui lui racontent ce que tout le monde sait. Tant mieux ! s’écrie le peuple d’élite ; je suis bien aise que l’art et la beauté soient inaccessibles aux êtres de hasard, et je veux que les dieux sortent de l’Olympe.

Ôtez votre chapeau, voici un poëte, un vrai poëte de la bonne race, c’est M. Théodore de Banville. Son livre de vers, publié par un éditeur littéraire et lettré, n’est pas précisément nouveau : les hommes de goût (rari nantes) le savaient, les femmes le comprenaient presque ou t’en vantaient ; mais en dépit du temps qui fane les roses, le volume de M. Théodore de Banville a gardé sa fraîcheur, sa grâce, sa jeunesse, sa gentillesse, si j’ose le dire. Je ne voudrais pas que ce dernier mot, un peu risqué, eùt le sort d’une injustice ou d’une erreur, et cependant quiconque a ôté son bonnet devant une écritoire, dans les heures douces où l’on rimait ce qu’il plaisait à Dieu, n’ose pas encourir le reproche d’ingratitude et se risque à l’admiration. C’est si bon d’admirer, d’aimer, d’ouïr les belles chansons de l’âme, celles qui on’, vingt ans et ne veulent pas vieillir, qui s’indignent des neiges d’autan et qui fêtent toutes les heureuses minutes que Dieu leur accorde. Vous qui n’admirez pas, vous qui n’aimez pas, qui ne savez lire ni le livre ni le cœur, ces deux poëmes impérissables, vous n’êtes rien ; vous n’êtes ni des hommes ni des femmes, vous êtes des ombres lointaines qui avez horreur de ce qui n’est pas la matière.

  1. Poulet Malassis et de Broise, 4, rue de Buci. — 1857.