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FRAGMENTS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

n’a pas entendu le moins du monde présenter l’amour maternel tel qu’il existe généralement ; que Lucrèce est un caractère d’exception ; que le but réel et unique de l’œuvre est de nous montrer comment le sentiment maternel peut se développer au sein d’une nature criminelle, de même que dans Marion Delorme, l’auteur nous fait envisager le pur amour enté sur les vices de la courtisane. Encore moins nous ferat-il observer cette différence élémentaire qui naît entre les littératures antiques ou primitives et les littératures modernes, de ce que les premières, trouvant dans la nature humaine un champ neuf, peuvent et doivent attaquer de préférence les généralités du sentiment et de la passion, tandis que les secondes sont naturellement poussées par le progrès de l’analyse vers l’étude des particularités.

De même, en traitant de l’amour paternel, le professeur, parti, je suppose, de l’Œdipe de Sophocle, arrivera sans transition, — la chose paraît incroyable, — au père Goriot de Balzac, sans tenir compte de la différence de la tragédie épique et du roman : comme si en présentant l’amour paternel réduit à l’état d’instinct chez un être dépourvu des plus simples lumières de la raison, l’auteur avait entendu faire autre chose qu’une étude purement spéculative.

À quoi tient, me dira-t-on, le succès de M. Saint-Marc-Girardin ? Hélas ! il tient précisémentà ces petits mensonges, à ces ménagements, à cet équilibre perpétuel entre le bien et le mal, à cette apparente modération. Le ne quid nimis a toujours charmé le vulgaire, il s’y reconnaît ; mais cette complaisance égoïste pour les préjugés n’a-t-elle pas ses effets funestes ?

Je ne crains pas d’exagérer mes rancunes d’écolier en disant qu’il y avait dans cet enseignementdu médiocre, dans ces doctrines négatives un principe débilitant pour les âmes, c’est-à-dire un principe de dépravation.

M. Sainte-Beuve, dans un jour de malice, a caractérisé cette influence de M. Saint-Marc-Girardin sur la jeunesse. Il l’a fait en quelques lignes, sans paraître presque y toucher ; mais ces quelques lignes, malgré la douceur du ton, sont une flagellation plus dure que nos paroles :

« Surtout il est de ceux qui ont le plus contribué à guérir les jeunes générations de la maladie de René. J’ai dit qu’il a réussi ; en effet, trop réussi. La jeunesse, une partie de la jeunesse est devenue positive : elle ne rêve plus ; elle pense dès seize ans à une carrière et