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FRAGMENTS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

Ce que je veux faire connaître aujourd’hui, c’est le professeur de 1840 ; ce que je veux rappeler, c’est l’impression que nous causait à nous, ses jeunes auditeurs de 1838 à 1845, l’enseignement de M. Saint-Marc-Girardin.

J’avoue qu’en interrogeant mes souvenirs d’écolier sur ce cours et sur cet enseignement, je ne retrouve pas une particularité, pas une affirmation qui ne fût un scandale pour ma conscience. Jamais je n’ai vu M. Saint-Marc-Girardin s’asseoir dans sa chaire avec l’aplomb de la satisfaction et du succès prévu, sans sentir que j’avais devant les yeux un ennemi, — un ennemi de l’Art, de la Poésie, de l’enthousiasme, de tout ce qu’il y a de grand et de beau dans le monde.

Quiconque de nous, au sortir d’une enceinte voisine où une parole, aujourd’hui éteinte, élevait si haut les âmes et donnait aux cœur de si tumultueux élans vers l’héroïsme et la vraie vertu, s’en fut venu encore palpitant d’émotion au cours de la Sorbonne, eût senti à la parole du maître une pluie fine et froide tomber sur son cœur et en abattre le gonflement. C’est que nul homme au monde, mieux que M. Saint-Marc-Girardin, ne s’est jamais entendu à tout rétrécir, à tout diminuer, à tout raccourcir ; à traiter toute ambition noble, tout élan généreux, toute aspiration spirituelle et désintéressée comme une maladie ridicule. Pour de tels esprits, l’infini est une chose risible, le désespoir une honte, le dévouement une curiosité : « De quoi vous inquiétez-vous ? Vivez, mangez, dormez ; remplissez les devoirs de votre état. Si le monde est malade, il se guérira bien sans vous ! » Lui-même se vante volontiers de cette rare faculté de découragement et d’amoindrissement. C’est ce qu’il appelle arriver au succès par l’estime[1]. Singulière estime que celle qui s’acquiert en enseignant que hors les devoirs quotidiens de la profession, tout est indifférent dans la vie !

« Dans les temps d’agitation morale, nous disait un jour Michelet, les mères s’effraient en voyant l’enthousiasme gagner leurs fils : Mon fils, disent-elles, pouvait arriver à tout ! il pouvait être même notaire… Il veut être un héros ! » M. Saint-Marc-Girardin est de ces mères-là : il rognerait volontiers tous les héros pour en faire des notaires. N’attendez pas de lui le courage de venger une gloire méconnue, ou de protéger une idée hardie. Il ressemble à ces politiques prudents qui tiennent, avant tout, à être bien avec les pouvoirs consti-

  1. Préface du Cours de littérature dramatique.