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FRAGMENTS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

La Révolution romantique se fit au nom de l’Art. Elle parla tout d’abord d’Esthétique : de la ligne et de la couleur, de linguistique et de prosodie, de symbolisme et d’archéologie. C’était la victoire du rapin sur le bourgeois. — La réaction de 1840 fut la revanche du bourgeois sur le rapin : dès lors il ne pouvait pas être question d’art. L’École romantique s’était flattée d’avoir changé le tempérament de la bourgeoisie française, de lui avoir inculqué le culte du beau et du génie, l’admiration pour Dante et pour Shaskspeare, l’intelligence de l’art gothique et des beaux vers. Quelques esprits ardents, quelques femmes nerveuses avaient adopté et compris cet art nouveau. Le reste du public l’avait accepté comme une mode et comme une mode tyrannique. Par soumission à la mode, il s’était résigné aux imitations des grands génies étrangers et aux accents mystiques de la poésie de la mort ; mais au fond tout cela l’ennuyait et lui faisait peur. À bout de patience, il redemanda sa comédie de Picard et de Colin d’Harleville, l’art d’Étienne et de Luce de Lancival. On les lui rendit : ce n était pas difficile. Il ne fallait qu’un peu de courage, beaucoup d’ignorance et pas de goût.

Une autre cause concourut à l’éclipsé du mouvementromantique. La révolution de juillet en conviant un plus grand nombre de citoyens à l’exercice des droits civiques, en élargissant le pays légal, avait créé l’homme politique. Jusqu’alors on avait servi son prince par affection ou par instinct ; on avait aimé la liberté par enthousiasme, comme un idéal brillant auquel on aspirait sans l’analyser. Le jour où il fut prouvé qu’une opinion pouvait rapporter des rentes, la politique devint un état, une profession, un métier. J’ai dit tout à l’heure que les épiciers étaient devenus pairs de France et législateurs ; ils ne l’étaient pas tous, mais tous étaient électeurs-éligibles, et chacun d’eux croyait avoir sous son comptoir ou dans sa caisse le portefeuille de Casimir Perrier. Banqueroutiers, usuriers, vendeurs à faux poids, juraient, la main sur la conscience, qu|ils n’avaientjamais varié dans leur opinion et aspiraient à donner du haut de la tribune des leçons au pouvoir. On vit alors se former, au sein de la nation la plus littéraire de l’univers, un parti bâtard et mitoyen, grognon, grognassant, qui n’était pas la révolution, puisqu’il se disait dynastique, qui n’était pas le gouvernement, puisqu’il donnait des leçons au pouvoir, et qui s’avançait gravement en réclamant sur sa bannière une modification dans l’uniforme