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LE SPHYNX.

naïfs où les architectes n’épargnaient ni les soliveaux ni l’espace. Les pièces étaient immenses ; les meubles, qui traînaient dans les coins une pantelante vieillesse, ne se soutenaient que par des miracles d’équilibre sur le peu de pieds qui leur restait.

Arsène examina tout cela avec le beau sang-froid qu’il avait amassé sur le chemin, lorsqu’il faisait appel à son courage, afin de scruter sans émotion le souvenir encore palpitant d’un drame réel. Mais où donc était ce je ne sais quoi de lamentable, ce sinistre voile et cette vague horreur qu’il s’attendait à voir répandus partout, dans cette demeure du suicide ou du crime ? Ce qu’il voyait lui sembla plus vulgaire que terrible, et, lorsque Jean Moreau, lui ayant fait visiter toutes les salles du rez-de-chaussée, l’eut amené jusque dans les cuisines, et lui dit, en lui désignant un escabeau de bois sur la pierre du foyer : Mon frère venait là se chauffer quelquefois… — le dandy sentit bien que sa curiosité était enfin plus que rassasiée, et, sans mot dire, il voulut gagner la porte. Mais le bonhomme poussa soudain un gémissement prolongé qui ressemblait au gloussement de l’eau… et puis il se mit à utiliser bruyamment ce grand mouchoir dont il s’était muni par précaution…

— Nous allons visiter la chambre mortuaire, dit-il d’une voix étouffée. Arsène se retourna vivement et le suivit.

Deux chambres contiguës ! Et de la première le regard embrassait toute la seconde, jusque dans sa partie la plus sombre. L’une, la première, était pleine de ces vestiges féminins qu’Arsène avait en vain cherchés dans le reste de la maison : il y avait encore sur une table de laque un petit métier à tapisserie avec son canevas chargé d’arabesques de laine. Cette pièce apparut au jeune homme comme un refuge charmant au milieu des horreurs de cette humide solitude. Elle était tendue en toile perse blanche et bleue et le plancher était couvert d’un modeste tapis également bleu à rosaces noires ; en face de la cheminée, s’élevait en deux étages de mousseline un lit presque coquet et pourtant très-chaste ; les rideaux des deux fenêtres étaient de mousseline aussi… Dans l’embrasure de l’une, Arsène aperçut un livre ouvert sur un fauteuil. C’était Honorine, de Balzac. — Georges doit avoir lu ça, se dit le bel Onfray. — Puis il prit le livre et l’ouvrit en secouant les feuillets : il s’en échappa deux petites couronnes désséchées, l’une de pensées sauvages, et l’autre de roses de haie. Les