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LE SPHYNX.

châtelaine qui restait muette. On vint annoncer enfin que le repas était servi.

Madame du Songeux ne voulut parler qu’au dessert. — Nous sommes ici dans la solitude, dit-elle à son hôte, vous nous distrairez un peu.

Arsène sourit d’abord de penser que cette créature si riche et si raide lui donnait charge de l’amuser ; la châtelaine avait décidément des façons étranges. — Toute notre société intime, reprit-elle, se réduit à deux gentilshommes du voisinage, M. le marquis de Rougé-la-Tour et M. de Brennes.

— Un parfait gentilhomme, Anna, répondit son frère.

Je le trouve aussi, dit-elle froidement, nous les avons tous deux à dîner ce soir… c’est pour M. Onfray même que je les en ai priés.

— Ils l’amuseront, dit Georges, et il se leva.

— Ah ! mon pauvre garçon, s’écria-t-il, lorsqu’il se retrouva seul avec Arsène, l’affreux guet-apens où je t’ai attiré ; pardonne-moi : je crains bien que dès demain tu ne veuilles repartir.

— Tu ne le penses pas, fit nonchalamment Arsène. — Nous voilà seuls, allons donc voir Jean Moreau.

— Au diable ! s’écria Georges. — Arsène, ajouta-t-il au bout d’un instant, as-tu bien regardé Anna ?

— Oui, répliqua le bel Onfray en souriant, elle ne m’a pas fait peur.

— Te souviens-tu que dans ma lettre je te parlais…

— Du sphynx ?

— Le sphynx habite sur le front de ma sœur. Allons au bourg. Mais n’oublie pas, mon cher, que j’ai été artiste. Ah ! si l’on me soupçonnait ici d’avoir tué seulement un canard, on me traiterait comme on fait de ta veuve.

Les deux amis descendirent le bourg : on se mit aux fenêtres pour les voir passer.

Ils s’arrêtèrentdevantune hideuse claire-voiepeinte en couleur brune. La maison où était mort Baptiste Moreau s’élevait presque en face de celle où vivait alors sa malheureuse veuve, et Julie, à travers les arbres, pouvait apercevoir la sinistre croisée.

Pourquoi reste-t-elle là ? dit Arsène.

Derrière la clairevoie, Jean Moreau travaillait activement à éeheniller les poiriers, car il ne faut point laisser dépérir son héritage.