— Julie !
— Julie ! Quels noms ! repéta le dandy, Julie Moreau !
— Nous voici à Laverdie, s’écria le bonhomme en frappant dans ses mains, je vais donc rentrer chez moi. Si vous voulez visiter la maison mortuaire, monsieur, je vous la montrerai moi-même. — Où descendez-vous ? au château de Bougy, chez M. le marquis de Rouge-la-Tour ?
— Non, dit Arsène qui venait d’apercevoir Georges accourant avec un domestique au-devant de la voiture, je descends chez M. de Kœblin.
La boîte roulante s’était arrêtee. Déjà le bonhomme Moreau était debout ; il se rapprocha précipitamment d’Arsène. — Connaissez-vous madame du Songeux, la sœur de M. de Kœblin, lui-dit-il à l’oreille ?
Celui-ci le regarda.
— Mettez que je n’ai rien dit, s’écria le vieux Normand, et il se laissa glisser précipitamment à terre, afin d’être le premier à saluer Georges.
La rencontre des deux jeunes gens fut des plus vives. Georges sauta au cou d’Arsène et l’accabla d’abord de toutes sortes de questions. Et puis ils firent quelques pas. — Eh bien ! dit Georges, tu as déjà des amis à Laverdie. Du premier coup tu te rencontres avec le maire…
— C’est monsieur Moreau, répliqua froidement Arsène, le frère de madame Julie Moreau.
— Le nom de la veuve ! tusaissonnom ! Lemaire t’a conté la lugubre histoire ! Est-ce qu’il ne t’a pas dit aussi que la maison de son frère était à vendre ?
— Nous la visiterons.
— Arsène, Arsène, tu deviens fou.
— Je sais tout, te dis-je. Madame Julie est brune. Son mari…
— Eh ! morbleu ! son mari s’est tué lui-même, le vieux forcené, pour lui faire pièce une fois de plus. Après tout, la chose serait plus piquante pourtant si c’était elle qui… La pauvre jeune femme vit à présent toute seule avec sa grand’mère : la belle vie ! Tu ignores peut-être que Jean Moreau raffole de sa belle-sœur ?
— Je ne l’ignore pas.
— Sa petite Julie ! il irait la voir malgré toute la paroisse et malgré sa femme, s’il n’avait pas peur que son adjoint, qui le déteste, ne se cachât derrière les arbres pour l’épier. Il faut que cette petite soit bien belle pour qu’on la haïsse si fort : je la verrai.
