Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/382

Cette page n’a pas encore été corrigée
374
LE PRÉSENT.

on n’a été toute sa vie qu’un coloriste. — À revoir donc, ô farouche ennemi de la fantaisie, de l’art et de tout ce que j’aimais, à revoir, mon plus cher ami. Ta chambre est déjà prête à te recevoir, et tu n’y trouveras ni papier, ni plume, ni pinceau surtout, rien enfin de ce qui peut rappeler un travail quelconque par l’esprit ou par les yeux… Je n’y ai fait mettre qu’un journal de modes… Adieu. »

« P. S. Un dernier mot. Je te trompais en t’assurant qu’il n’y avait rien à voir ici… Il y a, ma foi, une jeune veuve ! Candide comme un lys, et timide comme une palombe, elle passe… pour avoir tué son mari ! Je commence par te dire que je n’en crois rien… Cependant… Encore le sphynx ! — Confesse du moins avec moi que cela est fort piquant. »

II

Arsène Onfray était un fort beau jeune homme de vingt-huit ans, grand, mince et bien fait. Rien de plus harmonieux que son visage encadré dans une barbe soyeuse et sobre, et toujours merveilleusement reposé ; il avait la main d’un commendataire, l’œil fort doux et les dents blanches. De physionomie il n’en avait point. Son sourire était sans gaieté, son regard sans flamme, il portait une nuée sur son front comme d’autres y portent une étoile, et ses ennemis disaient de lui qu’il avait l’air d’un de ces beaux soleils de février qui brillent mais ne réchauffent pas. Ce pauvre dandy était à la fois le héros et le martyr de la mode. En entrant dans le monde, il avait fait choix d’un genre de renommée excentrique à poursuivre, et tout de suite il avait visé à celle du viveur, croyant naïvement que pour l’amasser, il n’en coûte jamais que du plaisir. La satiété, la ruine et la goutte ont guéri de cette illusion bien des galantes gens. — Mais Arsène était encore trop jeune pour avoir mérité la goutte, et quoique Georges ne le crût point, il n’avait dévoré qu’une moitié de son patrimoine et n’avait usé à cela qu’une génération de juifs : quant à son cœur, il était intact, ne lui ayant jamais servi.

Chose étrange ! Dans ce monde des enfants perdus du dandysme où il vivait, on ne connaissait au bel Onfray que des conquêtes éphémères, rapidement faites, aussitôt perdues, et personne ne s’étonnait