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LE PRÉSENT.

biographe ! M. Mirès avait dit, souvenez-vous-en ! « Je le tuerai par l’argent. » Voilà notre homme ruiné, réduit au silence, condamné à une année de prison, victime’enfin de sa scandaleuse témérité ! 30,000 francs qu’il faut payer ! Les recors sont là, en cas de refus ! Il est pénible de fouiller ainsi dans son secrétaire ! Il est plus pénible encore de n’être plaint par personne ! c’est là le châtiment.

Il en est d’autres que la foule a poursuivis de ses cris, que la jeunesse a insultés, que l’on a voulu couronner d’épines après les avoir couverts de lauriers ; ceux-là ont dû porter aussi le poids des grands remords et des douloureux repentirs. Mais ils vivaient, du moins, dans le monde de la pensée, et leur esprit habitait haut dans les régions sereines ; un jour, ils s’égarèrent en chemin, prirent à gauche, abandonnèrent les idées qu’ils avaient défendues avec talent et courage. Ce jour-là, l’inspiration leur fit défaut, leur éloquence fut à l’étroit dans le cercle des opinions nouvelles, et, pour les punir sans retard, on mit à les siffler la violence qu’on avait mise à les applaudir. Peut-être étiez-vous au Collége de France, un jeudi, si je ne me trompe, en quarante-neuf, à l’époque des manifestations bruyantes, quand les haines s’unissaient pour éclater bien haut contre l’homme qui avait démérité de la foule. Il y eut, ce soir-là, grand tapage. À bas Lerminier ! Silence au renégat ! tels sont les cris que poussèrent, pendant un quart d’heure, deux cents jeunes gens irrités. On fut obligé d’employer la force, et les gamins de Paris, sous le costume de la garde mobile, empoignèrent les récalcitrants.

C’est cet homme, cet orateur insulté, ce professeur maudit, qu’on a conduit l’autre jour au cimetière. On parlera, dans cette Revue, de M. Lerminier ; un autre jugera ses livres — et ses actes. Je puis bien dire, en n’engageant que ma propre pensée, qu’il fut un des plus vaillants parmi ceux qui, sous le dernier règne, faisaient de chaque chaire une tribune, de chaque article un manifeste, et de leur plume un glaive ! Il changea ! J’ai peut-être lancé mon mot, dans le torrent d’injures, au Collége de France. Plus sage et plus triste aujourd’hui, je jette un brin de laurier sur sa tombe.

Max
Étienne MELLIER, Directeur.