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L’ANNÉE DES COSAQUES.

Tous, ou presque tous, vieillards, hommes faits, jeunes gens, avaient, soit à la main, soit à portée de la main, appuyée contre un arbre, une arme quelconque ; quelques vieux fusils descendus du manteau de la cheminée, dont ils avaient été longtemps l’inoffensif ornement, dressaient leur cou mince et rouillé au milieu des fourches et des faulx. Derrière les hommes se pressait confusément toute la population féminine et bambine du village, vieilles et jeunes, visages frais et ridés, tètes chenues et tètes blondes. Enfin, au dernier rang, gardés par un détachement de gamins armés de lances improvisées avec une gaule et un clou, les groupes de vaches, de bœufs et de chevaux, frissonnaient au froid du matin, sous la rosée qui filtrait en gouttes menues des branches des chênes. De temps en temps, un hennissement plaintif, un mugissement lamentable témoignait des regrets de ces paisibles animaux pour l’écurie ou l’étable, et éveillait longuement les échos de la furèt.

— Silence ! la Barrée, fit une vieille femme en se tournant vers une belle vache tachetée de rouge et de blanc qui venait de saluer le matin d’un mugissement profond, silence ! Si les cosaques t’entendaient, ils t’emmeneraient, te tueraient, et nous avec toi, ma pauvre Barrée. Mais pourquoi ne touches-tu pas à cette bonne luzerne ? Tu as froid… tiens. La vieille lui jeta sur le dos un mantelet d’étoffe grise qu’elle avait sur les épaules.

— Bien, la mère Thomas, dit un voisin ; il faut prendre soin de ceux qui nous nourrissent.

— Une bonne bête, je m’en vante, et plus chrétienne que ce ramas de gueux qui viennent de leur Cosaquie.

— Ils ont reçu hier une correction qui n’a pas dû leur faire plaisir.

— Les païens ! S’il pouvait n’en pas rester un !

— M’est avis, mes amis, qu’il faut penser un peu à ce que nous allons faire aujourd’hui, dit en élevant la voix le père Jarry, parce que l’entendementest ce qui vaut le mieux dans notre position.

— C’est juste, firent plusieurs voix.

Dans ces jours de douloureux souvenir, nos paysans, chassés de leurs chaumières par l’incendie et les ravages de la guerre, en étaient revenus aux vieilles mœurs de leurs ancêtres gaulois ou francs. On discutait en commun, comme au temps des rois chevelus, ce qu’il fallait faire, soit pour fuir l’ennemi, soit plus souvent encore pour surprendre ses détachements isolés. L’avis prévalait qui était le meilleur et venait d’un conseiller connu pour sa prudence.

— L’affaire a été chaude hier. J’ai été faire un tour dans le champ ; je parie