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LE PRÉSENT.

avait pu la briser et l’avait conservée ; elle déclara qu’il était trop tard et qu’elle était entrée dans la coalition. Quoi qu’en dise l’historien de l’Empire, le jugement de Napoléon sera sur ce point celui de l’histoire impartiale : « Le Cabinet de Vienne vient d’abuser de ce qu’il y a de plus sacré pour les hommes, un médiateur, un Congrès et le nom de la paix. »

Après la rupture du Congrès de Prague, la lutte recommence, et M. Thiers nous entraîne de nouveau sur ces innombrables champs de bataille qu’il sait si bien décrire, avec tant de précision, de détails et de jugement. Il me semble cependant que dans ce volume nouveau, plus que dans les autres encore, il a trop accordé à la stratégie, à la partie purement technique et militaire de sa tâche. L’intérêt s’affaiblit au milieu de ces marches, de ces contre-marches inutiles à noter, de ces bataillons méthodiquementcomptés, classés et dont aucun des pas n’est fait sans être enregistré ! Non-seulement l’intérêt souffre, mais plus encore la clarté, et avec la clarté quelque chose de la vérité historique. Grâce à cette prolixité fatigante, à cette profusion de détails, le drame le plus grandiose et aussi le plus simple de l’histoire devient confus et embrouillé. Je dis drame, et ce n’est point là une pure et vaine métaphore. L’action marche en effet et se précipite au dénoûment avec la régularité d’une tragédie antique. La bataille de Dresde serait en quelque sorte l’exposition et le prologue de cette terrible pièce. Le malheur de Vandamme à Kulm, le désastre de Macdonald à la Katzbach, celui d’Oudinot à Gros-Beeren, celui de Ney à Dennewitz en seraient les quatre premiers actes. L’intervention presque évidente du destin jaloux et de la fatalité contraire complète la ressemblance avec ces grandes fables aimées de la Grèce religieuse où le Destin, la Fatalité, la Moira impitoyable planent si implacables sur les hommes et les événements. N’est-ce pas en effet la méchanceté du destin qui fit avorter la combinaison ordonnée à Vandamme ? Jamais peut-être Napoléon n’avait été mieux inspiré et n’avait lié le sort des étreintes plus puissantes de son génie. Il lui échappa pourtant et glissa de ses mains étonnées. Vandamme, placé derrière les alliés battus pour leur fermer le chemin de la retraite, se vit lui-même pris entre deux feux, et changea en une irréparable défaite une éclatante victoire. Le trouble qui entre dans ces âmes intrépides d’Oudinot, de Ney, de Macdonald, et fait flotter comme la feuille, au vent de l’incertitude et du doute, ces hommes héroïques, ne semble-t-il point encore un de ces coups envoyés du ciel quand il veut avoir raison de la sagesse humaine ? Enfin la bataille de Leipzig est l’épouvantable cinquième acte du drame. Un holocauste de cent mille hommes est offert par le grand vainqueur aux dieux irrités, et il ne faut pas moins que cet océan de sang pour noyer sa fortune et celle de la France. Après Leipzig, en effet, tout est consommé. La bataille de Hanau n’est qu’un faible épilogue à tant de scènes émouvantes et terribles. C’en est bien fait après les trois grandes journées où cinq