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DE L’ESSENCE DU RIRE.

français, il tire toujours sa raison d’être de l’idée de supériorité ; il est tout à fait significatif.

La rêveuse Germanie nous donnera d’excellents échantillons de comique absolu. Là tout est grave, profond, excessif. Pour trouver du comique féroce et très-féroce, il faut passer la Manche et visiter les royaumes brumeux du spleen. La joyeuse, bruyante et oublieuse Italie abonde en comique innocent. C’est en pleine Italie, au cœur du carnaval méridional, au milieu du turbulent Corso que Théodore Hoffmann a judicieusement placé le drame excentrique de la Princesse Brambilla. Les Espagnols sont très-bien doués en fait de comique. Ils arrivent vite au cruel, et leurs fantaisies les plus grotesques contiennent souvent quelque chose de sombre.

Je garderai longtemps le souvenir de la première pantomime anglaise que j’aie vu jouer. C’était au théâtre des Variétés, il y a quelques années. Peu de gens s’en souviendront sans doute, car bien peu ont paru goûter ce genre de divertissement, et ces pauvres mimes anglais reçurent chez nous un triste accueil. Le public français n’aime guère ètre dépaysé. Il n’a pas le goût très-cosmopolite, et les déplacements d’horizon lui troublent la vue. Pour mon compte, je fus excessivement frappé de cette manière de comprendre le comique. On disait, et c’étaient les indulgents, pour expliquer l’insuccès, que c’étaient des artistes vulgaires et médiocres, des doublures ; mais ce n’était pas la question. Ils étaient Anglais, c’est là l’important.

Il m’a semblé que le signe distinctif de ce genre de comique était la violence. Je vais en donner la preuve par quelques échantillons de mes souvenirs.

D’abord, le Pierrot n’était pas ce personnage pâle comme la lune, mystérieux comme le silence, souple et muet comme le serpent, droit et long comme une potence, cet homme artificiel, mû par des ressorts singuliers, auquel nous avait accoutumés le regrettable Debureau. Le Pierrot anglais arrivait comme la tempête, tombait comme un ballot, et quand il riait, son rire faisait trembler la salle ; ce rire ressemblait à un joyeux tonnerre. C’était un homme court et gros, ayant augmenté sa prestance par un costume chargé de rubans, qui faisaient autour de sa jubilante personne l’office des plumes et du duvet autour des oiseaux, ou de la fourrure autour des angoras. Par-dessus la farine de son visage, il avait collé crûment, sans gradation, sans transition, deux énormes plaques de rouge pur. La bouche était agrandie par une prolongation simulée des lèvres au moyen de deux bandes de carmin, de sorte que, quand il riait, la gueule avait l’air de courir jusqu’aux oreilles.

Quant au moral, le fond était le même que celui du Pierrot que tout le monde connaît : insouciance et neutralité, et partant accomplissementde toutes les fantaisies gourmandes et rapaces, au détriment, tantôt de Harlequin, tantôt de Cas-