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LE PRÉSENT.

tesse de ces assertions, que beaucoup de personnes trouveront sans doute entachées de l’à priori du mysticisme. Essayons, puisque le comique est un élémen damnable et d’origine diabolique, de mettre en face une âme absolument primitive et sortant, pour ainsi dire, des mains de la nature. Prenons pour exemple la grande et typique figure de Virginie, qui symbolise parfaitement la pureté et la naïveté absolues. Virginie arrive à Paris encore toute trempée des brumes de la mer et dorée par le soleil des tropiques, les yeux pleins des grandes images primitives des vagues, des montagnes et des forêts. Elle tombe ici en pleine civilisation turbulente, débordante et méphitique, elle, tout imprégnée des pures et riches senteurs de l’Inde ; elle se rattache à l’humanité par la famille et par l’amour, par sa mère et par son amant, son Paul, angéliquecomme elle, et dont le sexe ne se distingue pour ainsi dire pas du sien dans les ardeurs inassouvies d’un amour qui s’ignore. Dieu, elle l’a connu dans l’église des Pamplemousses, une petite église toute modeste et toute chétive, et dans l’immensité de l’indescriptibleazur tropical, et dans la musique immortelle des forèts et des torrents. Certes, Virginie est une grande intelligence ; mais peu d’images et peu de souvenirs lui suffisent, comme au Sage peu de livres. Or, un jour, Virginie rencontre par hasard, innocemment, au Palais-Royal, aux carreaux d’un vitrier, sur une table, dans un lieu public, une caricature ! une caricature bien appétissante pour nous, grosse de fiel et de rancune, comme sait les faire une civilisation perspicace et ennuyée. Supposons quelque bonne farce de boxeurs, quelque énormité britannique, pleine de sang caillé et assaisonnée de quelques monstrueux goddam ; ou, si cela sourit davantage à votre imagination curieuse, supposons devant l’œil de notre virginale Virginie quelque charmante et agaçante impureté, un Gavarni de ce temps-là, et des meilleurs, quelque satire insultante contre des folies royales, quelque diatribe plastique contre le Parc-aux-Cerfs, ou les précédents fangeux d’une grande favorite, ou les escapades nocturnes de la proverbiale Autrichienne. La caricature est double : le dessin et l’idée : le dessin violent, l’idée mordante et voilée ; complication d’éléments pénibles pour un esprit naïf, accoutumé à comprendre d’intuition des choses simples comme lui. Virginie a vu ; maintenant elle regarde. Pourquoi ? Elle regarde l’inconnu. Du reste, elle ne comprend guère ni ce que cela veut dire ni à quoi cela sert. Et pourtant, voyez-vous ce reploiement d’ailes subit, ce frémissement d’une âme qui se voile et veut se retirer ? L’ange a senti que le seandale était là. Et, en vérité, je vous le dis, qu’elle ait compris ou qu’elle n’ait pas compris, il lui restera de cette impression je ne sais quel malaise, quelque chose qui ressemble à la peur. Sans doute, que Virginie reste à Paris et que la science lui vienne, le rire lui viendra ; nous verrons pourquoi. Mais, pour le moment, nous, analyste et critique, qui n’oserions certes pas affirmer que notre intelligence est supérieure à celle de Virginie, constatons la crainte et la souffrance de l’ange immaculé devant la caricature.