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LE SALON DE 1857.

ses cadets, montent la garde avec un admirable sérieux. Une tire-lire est placée devant le trône, et devant cette tire-lire s’acheminent à la file des brunes, des blondes, des grandes, des petites qui vont déposer leur obole. Il est fâcheux que l’exécution ne réponde pas tout à fait au piquant de l’idée et à la saveur de la conception. M. Droz semble avoir été un peu pressé et n’avoir pas donné tout le soin nécessaire à ses figures. Une tête surtout, au milieu du tableau, dont on ne voit que le chignon, est particulièrement désagréable et mal réussie. Mais je ne doute pas que M. Droz n’enlève un jour à la pointe du pinceau un grand succès. Il imaginera quelque sujet comme le Duel des pierrots de M. Gérôme, et la foule se battra alentour pour voir. Qu’il se garde toutefois de l’imitation de M. Hamon, voire même de M. Glaize ; qu’il reste lui, c’est le meilleur moyen d’arriver.

M. Amand Gautier a un tout autre genre de talent ; mais il a du talent et beaucoup. Ses Folles de la Salpêtrière sont un beau tableau bien peint et bien vivant. La variété des poses et des figures, l’expression diverse des physionomie ? ne laisse rien à désirer. Je crois que la tristesse du sujet a empêché l’auteur d’avoir tout le succès auquel il a droit. Le choix du sujet est chose fort importante ; il faut qu’il soit sympathique au spectateur, sinon on admire, on passe et on ne garde qu’un souvenir confus. — Je ne veux pas juger les plans de Sébastopol de M. Durand-Brager, en pareille matière je suis obligé de récuser ma compétence. Je dirai toutefois que je les ai vus en compagnie d’un vaillant de Crimée qui connaît la baie du Carénage, et les bastions du Mât, et les ouvrages Blancs, et Kamiesch, et le Lazaret, comme un Parisien connaît Versailles et Saint-Germain, et il a beaucoup loué ces excellentes cartes de géographie. M. Durand-Brager n’a pas voulu faire autre chose, mais il a, m’a-t-on dit, merveilleusement réussi. Constatons de plus que le nombre et l’importance de ses toiles révèlent en lui une grande facilité de touche, une science profonde de son art et un amour du travail assez rare de notre temps. Il faut faire le salut militaire à M. Durand-Brager.

J’ai vu de M. Le Poittevin deux ravissants tableaux, l’Hiver, souvenir de Hollande, et l’École buissonnière : le dernier surtout m’a fait plaisir. C’est le coin du bois. Des terrains en pente prêtent aux glissades et aux courses rapides. Un vieux chêne plein de nids et d’oiseaux, patriarche de la forêt, dresse au milieu du tableau ses frondes vénérables et ses larges rameaux. Ils sont trois au pied, trois petits drôles qui ont laissé là le vieux maître et le vieux livre pour venir rire un peu et se délecter au soleil du bon Dieu. L’un d’eux courbe le dos et, appuyé à l’arbre, fait la courte échelle à son camarade qui se hisse des mains et des jambes après l’arbre recéleur de nids. Il faut voir la bonne humeur, la gaieté, l’esprit de ce charmant tableau. Le paysage est grave et sévère, les jeux des enfants souriants et agéables ; le tout attache et plaît comme un souvenir à moitié effacé qui traverse la mémoire en chantant et en battant de l’aile. C’est un des rares tableaux de l’exposition qui ait une âme,