Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/335

Cette page n’a pas encore été corrigée
327
L’ANNÉE DES COSAQUES.

— Laissez-moi. Adieu, Sire. Adieu, mon frère. Adieu, mon père. Embrassez-moi.

Ils l’embrassèrent.

— Maintenant, dit-elle, j’en ai fini avec la vie et les vivants.

Elle se recoucha près de Georges, enlaça de nouveau ses membres glacés et colla ses lèvres à son front.

Au bout d’un quart d’heure, son père l’appela. Elle ne répondit pas. Il se leva, se pencha sur elle, elle était morte.

Le lendemain, on porta les deux époux au cimetière du village. La neige tombait sur la couronne de roses blanches posée sur le cercueil de la vierge, sur l’épée du doux jeune homme qui l’avait tant aimée, et sur ces deux cœurs si pleins de flammes pendant leur courte vie, maintenant à jamais éteints. Elle argentait les cheveux de l’empereur, qui les suivait en pleurant au champ de l’éternel repos, conduit par le prêtre qui la veille les avait mariés. L’empereur, le docteur, la mère Thomas, Baptiste, le père Grandpré, c’était tout le cortége. Le père Grandpré marchait en chancelant, soutenu d’un côté par son fils, de l’autre par Alexandre. Les cercueils étaient portés à bras, selon l’usage des campagnes. La neige tombait, et les porteurs hâtaient le pas.

— Mon Dieu ! mon Dieu ! comme ils vont vite ! dit le père Grandpré ! Marguerite ! Marguerite !

Et il tendait les bras vers le cercueil.

On approchait du cimetière.

— Nous y voici déjà ! Ne l’emportez pas aussi vite, mes amis, je vous en prie. Marguerite, entends-tu ton vieux père que tu laisses seul ! Marguerite, mon enfant, ma chère enfant, la chair de ma chair et les os de mes os ! Enterrez-moi avec elle !

Les yeux du vieillard étaient obscurcis par les larmes, il trébuchait comme un homme ivre dans les ornières profondes et courait derrière le cercueil de sa fille.

On entra dans le cimetière. Le ciel noir pleurait sur les fosses ouvertes. Un dernier chant fut chanté sur les tombes ; la voix du vieux prêtre, tremblante et cassée autant de douleur que de vieillesse, recommanda à Dieu les âmes de ces pauvres enfants. Ô pitié ! on allait descendre les boîtes de sapin dans la terre humide. Le père Grandpré et Baptiste s’agenouillèrent et collèrent leurs bouches à la place où était la tête de Marguerite, de leur fille et de leur sœur.