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L’ANNÉE DES COSAQUES.

Georges ne tint compte de cette lettre, et le lendemain, 9 avril, le village de Saint-Just était tout entier en émoi. Les cloches sonnaient joyeusement depuis le matin ; l’église s’était parée de ses plus magnifiques tentures, et toute la domesticité du château, avec des livrées neuves, avait pris cet air solennel qu’elle revêt aux grandes occasions, aux mariages et aux enterrements, pour les Te Deum et les De Profundis.

Le soleil avait voulu être de la fête. C’était une des plus belles et des plus pures matinées du printemps. Les arbres en fleurs laissaient envoler à une brise odorante leurs parfums pénétrants ; les fauvettes, essaim étourdi et léger, montaient et descendaient dans le bleu, en éparpillant les perles de leur gosier sonore ; plus près de la terre, les abeilles dorées dépliaient en bourdonnant leur corsage poudré comme une marquise de la cour de Louis XV ; la force, la santé, la joie circulaient avec un air frais et vivifiant dans l’air, sur la terre et sur les eaux.

Personne plus que Clotilde ne prenait sa part de ce bonheur universel. Le sourire aux lèvres et pourtant le regard sérieux, elle traînait, comme une reine, sur le tapis de sa chambre de jeune fille, l’ampleur d’une magnifique robe blanche ; elle regardait la pendule, et elle eût avancé l aiguille du doigt, si elle eût pu de même avancer l’heure trop lente au gré de son impatience.

Georges, le sourire aux lèvres aussi et la mort dans le cœur, attendait.

L’empereur était arrivé la veille avec un seul aide de camp. Il avait tenu sa parole et venait prier pour le bonheur des deux époux.

Madame de Lautages, toujours digne, contenait difficilement la joie dont son cœur maternel était inondé.

Dix heures sonnèrent. Un vaste carrosse, splendide héritage d’un temps où le luxe n’était point mesquin et pauvre comme du nôtre, reçut la marquise, Georges, Clotilde et l’empereur.

L’aide de camp, Ostrowki, deux ou trois autres personnes venaient dans un second carrosse.

La place de l’Église était couverte de la population entière de Saint-Just qui venait contempler ébahie les spendeurs de ce mariage princier. On entra à l’église ; Georges en passant devant un pilier pâlit et rougit successivement ; il continua sa route en chancelant ; il n’avait