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L’ANNÉE DES COSAQUES.

pleins de différentes graines ; au-dessus brillait le seul luxe de la maison, une bataille d’Austerlitz enluminée à Épinal. Au mur, près du lit, était fixée une branche de buis bénit toute desséchée. C’est dans ce triste cadre que rayonnait la beauté virginale de Marguerite.

Georges recommanda mille fois à la bonne femme qui l’avait recueillie d’en prendre le plus grand soin, lui mit sa bourse dans la main et partit. Son mariage avec mademoiselle de Lautages était décidé, le jour seulement n’était pas fixé ; la marquise, sûre maintenant qu’il ne pouvait reculer, et voulant que désormais toute parole à ce sujet vînt de lui, attendait qu’il fît un pas de plus et marquât l’heure et le moment. Georges ne se pressait point. Presque chaque jour il renouvelait ses visites à Marguerite, et plus il la voyait, plus il voulait la revoir. Elle était toujours dans le même état, elle ne le reconnaissait pas, ou bien, dans son délire, elle le repoussait comme une ombre.

Un matin, il avait pris comme d’habitude le chemin de la cabane. Roczakoff, guéri de la terrible blessure qu’il avait reçue, l’accompagnait. Quand ils entrèrent, deux hommes étaient au chevet de Marguerite qui la regardaient dormir. Au bruit que firent Georges et Roczakoff en poussant la claie d’osier, ils se retournèrent.

C’étaient Baptiste revenu au village de la veille, et son père qu’il avait fléchi par ses prières et amené au lit de mort de sa fille.

— Voilà l’homme qui m’a frappé à Paris, dit en russe Roczakoff à Georges.

Il montrait Baptiste du doigt.

Il n’avait pas achevé que Georges levait la main sur Baptiste. Celuici le saisit d’un poignet de fer comme dans un étau, et la serrant à la briser : — Je vous connais, monsieur. Vous n’avez pas besoin de m’insulter pour que je vous tue. Sortons. Et toi, dit-il à Roczakoff, tu es donc encore sur tes jambes, après mon coup de sabre. Tu as la vie dure, mais je serai plus heureux cette fois, j’espère, ce sera ton tour après lui.

Tous quatre étaient sortis et se trouvaient au milieu d’une place qui s’étendait devant la maison. Le sabre haut, Baptiste fondit sur Georges. Celui-ci para, et se fendant avec vivacité lui traversa le bras gauche. Il allait porter un second coup quand une ombre blanche surgit tout à coup entre les combattants. C’était Marguerite. Elle se jeta au cou de Baptiste.