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LE PRÉSENT.

misèredu haut du trône, une sollicitude active et se traduisant par des faits, eût mieux servi ce gouvernement que cinquante discours de M. Guizot, égaux en éloquence au Discours pour la couronne de Démosthène. Ce qui vivait dans l’esprit du peuple, ce qui condamnait d’avance dans son cœur cette monarchie de rencontre, c’était la Pologne trahie et le mot cruel de M. Sébastiani ; c’était l’Italie abandonnée ; c’était, en 1840, notre exclusion des affaires d’Orient que ne rachetèrent point les triomphes de notre diplomatie en Espagne ; c’était notre grandeur diminuée et le nom de Français amoindri ; c’était enfin cette sorte d’instinct reconnue de tout temps chez nous qui nous’pousse aux aventures, au prix du repos et des calmes félicités dela paix. Il y a péril à sevrer d’émotions le peuple gaulois. Comme autrefois il se mettait en marche pour Rome ou pour la Macédoine, ou même pour l’Asie-Mineure, ainsi, aujourd’hui son imagination, si on la laisse oisive, rève de changements à vue, de décors nouveaux dans les gouvernements et se met lestement en marche pour l’imprévu des révolutions. Peut-être M. de Cassagnac traitera-t-il cette explication d’utopie, elle est plus vraie cependant que celle qu’il croit voir couler des bouteilles réformistes avec le vin des banquets.

L’aspect général de la révolution de Février ne me semble guère mieux saisi par M. de Cassagnac. Tendre à l’excès pour la monarchie de Juillet, il a été sévère outre mesure pour la république. Non point qu’il n’y ait grand plaisir à voir fustiger, comme ils le méritent, tous ces gouvernants de hasard qui n’avaient d’autres titres à la domination de la France que leur ambition, et qui, pendant cinq mois, ne surent que nous infliger la misère, la honte et la guerre civile ; mais la république elle-même, comme principe de gouvernement, devait être relevée de leurs erreurs. M. de Cassagnac ne la discute même pas, il la flétrit, la bafoue et la condamne. La conscience du pays lui a été moins dure. Il est certain (et l’historien impartial ne doit point négliger de le dire) qu’elle fut accueillie tout d’abord, non pas seulement sans méfiance, mais avec bonheur et enthousiasme. Il semblait que ce mot magique rouvrit la carrière des grandes choses, des tentatives viriles et des libres audaces. Ce ne fut que peu à peu et par degrés que l’imbécillité et la pusillanimité du gouvernement provisoire dessilla les yeux, relégua une seconde fois la république dans les espérances lointaines d’un avenir impossible peut-être, et nous mit face à face avec la misère et la discorde à l’intérieur, sans la moindre compensation à l’extérieur.

Paul DUFFAYE.
(La suite au prochain numéro.)
Étienne MELLIER, Directeur.
PARIS, IMP. WALDER, RUE BONAPARTE, 44.