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DU SOMMEIL ET DE L’EXTASE.

et rentre avec joie dans la vie active. Ces phénomènes sont significatifs, et dénoncent la suspension de la volonté comme la condition essentielle du sommeil. Telle est aussi l’induction qu’il est permis de tirer du caractère illogique des rêves. Les idées spontanément associées y produisent des assemblages bizarres et monstrueux, et les ébats d’une folle imagination sans boussole y rappellent les jeux insensés des écoliers que ne contient plus la présence du maître. Telles sont encore ces images gracieuses ou effrayantes qui peuplent les ténèbres traversées par l’homme éveillé : il recueille mille bruits au sein de la muette nature, et voit se dresser devant lui des fantômes aimés ou menaçants. Qu’un rayon de soleil vienne éclairer cette scène mouvante, restituer les distances, rendre aux objets leurs proportions naturelles ; qu’à défaut de la lumière physique, la lumière intérieure de la volonté apaise les tressaillements du cœur, interprète les phénomènes, corrige par le souvenir de mensongères apparences ; aussitôt le chaos fait place à l’ordre, et les esprits de l’air, de la terre et des eaux rentrent dans leurs profondes retraites. Les ténèbres troublent le cœur intrépide et l’esprit étroit d’Ajax : elles protégent l’astucieux Ulysse et l’appellent à de nocturnes exploits.

Cette prostration de la volonté qui prélude au sommeil explique encore la trace légère et fugitive que les rêves laissent dans la mémoire : l’âme retient mal des impressions qu’elle n’a ni gouvernées ni coordonnées. Est-il donc impossible de garder ces empreintes périssables, de les classer, de les ramener à un petit nombre de causes ? non, sans doute, et il y a comme un esprit de vérité qui éclaire ces ténèbres, semblable à cette lumière douteuse qui visite encore la terre, quand le soleil est déjà plongé au-dessous de l’horizon. Rêves subordonnés au travail intérieur des organes ou aux conditions extérieures qui oppriment ceux-ci ; rêves qui continuent l’action des sens en l’absence des’ objets qui les impressionnaient ; rêves intellectuels qui ordonnent harmoniquement la parole et l’idée, et qui atteignent quelquefois une vérité inutilement poursuivie pendant la veille. Telles nous paraissent être la physionomie des songes et leurs diverses émanations. Parmi les rêves de la première classe, on peut citer les images gracieuses ou lugubres subordonnées à l’excitation des organes ou à leur affaissement, et le phénomène si connu du cauchemar, qui semble dépendre ou d’une maladie des organes ou d’une pression extérieure.