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LE PRÉSENT.

sées et les rend habiles à de nouveaux labeurs ? Questions délicates, peut-être insolubles, et qui cependant amorcent puissamment les esprits réfléchis. C’est l’antique Sirène qui nous attire dans le gouffre en nous promettant des révélations dont elle n’est pas la gardienne, et dont nous ne saurions porter le fardeau.

Bichat a posé cette loi : Les organes de la vie nutritive agissent sans relàche, tandis que les organes de la vie intellectuelle ne sont doués que d’une activité intermittente. De là le sommeil, qui, suivant l’illustre physiologiste, est la suspension de la vie cérébrale, pendant que le cœur continue de battre et l’estomac de digérer, Certes, une pareille autorité semble avoir épuisé la question et défier toute critique ; cependant, tous les faits protestent contre cette théorie. La vie nutritive est affaiblie, sinon enrayée pendant le sommeil : la digestion est plus diffuse, la respiration moins puissante, et une mystérieuse torpeur semble enlacer tous les organes. D’autre part, la vie intellectuelle est modifiée sans doute dans ses conditions, mais non éteinte, ainsi que l’attestent les rêves. Ces rêves sont le plus souvent décousus ; ils brisent toutes les convenances de l’espace et du temps ; ils nous font entendre la voix d’une personne que nous avions ensevelie peu d’instants auparavant. Mais leur existence n’en est pas moins la preuve que la vie de l’âme n’est pas interrompue, et qu’elle conserve durant le sommeil une énergie sourde et persistante.

Cherchons donc en dehors de toute théorie préconçue, et peut-être les faits qui précèdent, accompagnent, suivent le sommeil, nous mettront-ils sur la piste de la vérité. Lorsque nous appelons le sommeil, nous donnons congé aux soucis et à la pensée, nous fermons les sens aux impressions extérieures, et nous plaçons nos membres dans une situation de parfaite immobilité. Quelquefois les fatigues d’une veille laborieuse, ou les sourds ravages de la maladie nous plongent spontanément dans une somnolence réparatrice ou accablante. Souvent aussi des circonstances extérieures, qui bercent mollement notre esprit sans le subjuguer, appellent le sommeil : telles sont le clapotement monotone des flots, une causerie banale sans accent et sans profondeur, la lecture d’un livre médiocre. Mais que la tempête vienne à mugir, qu’une voix sympathique et ingénieuse brise la trame d’une conversation vulgaire, que le livre injustement dédaigné nous illumine d’une clarté soudaine, aussitôt l’âme est arrachée à sa quiétude paresseuse,