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POÈMES NOCTURNES.

l’homme, et il me citait, je crois, à l’appui de sa thèse, des paroles des Pères de l’Église. Il est vrai que l’esprit de meurtre et de lubricité s’enflamme merveilleusement dans les solitudes. Le Démon fréquente les lieux arides.

Mais cette séduisante solitude n’est dangereuse que pour ces âmes oisives et divagantes qui ne sont pas gouvernées par une importante pensée active. Elle ne fut pas mauvaise pour Robinson Crusoé. Elle le rendit religieux, brave, industrieux ; elle le purifia, elle lui enseigna jusqu’où peut aller la force de l’individu.

N’est-ce pas La Bruyère qui a dit : « Ce grand malheur de ne pouvoir être seul ?… » Il en serait donc de la solitude comme du crépuscule ; elle est bonne ou mauvaise, criminelle ou salutaire, incendiaire ou calmante, selon qu’on en use, et selon qu’on a usé de la vie.

Quant à la question de jouissance, les plus belles agapes fraternelles, les plus magnifiques réunions d’hommes électrisés par un plaisir commun, n’en donneront jamais de comparable à celle qu’éprouve le solitaire, qui d’un coup d’œil a embrassé et compris toute la sublimité d’un paysage. Ce coup d’œil lui a conquis une propriété individuelle inaliénable.


LES PROJETS.

Comme tu serais belle, dans un costume de cour compliqué et fastueux, descendant, à travers l’atmosphère d’un beau soir, les degrés de marbre d’un palais, en face des grandes pelouses et des bassins !

Mais à quoi bon de si beaux décors ? Insensé ! j’oubliais que je hais les rois et leurs palais. — Non, ce n’est pas dans un palais que je voudrais te posséder et jouir de tout ton amitié. Nous n’y serions pas chez nous. D’ailleurs, ces murs gaufrés, galonnés, insolents, éblouissants comme des militaires, ressemblent à l’âme du Grand Roi, qui n’avait pas de coins pour l’intimité. — Ici, pas un rêvoir ; sur ces murs criblés d’or, je ne vois pas la place d’un seul clou pour y accrocher ton image.

Ah ! je sais bien où je voudrais t’aimer interminablement ! — Au bord de la mer, une belle case en bois, enveloppée d’ombrages ! Dans l’atmosphère, une odeur flottante d’huile de coco, et partout un parfum indescriptible de musc ; à l’horizon, des bouts de mâts, auxquels une