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LE PRÉSENT.

couvre de ses branches. À sa place pourtant je ne dormirais pas ; je regarderais l’admirable paysage au milieu duquel l’a placé M. Cabat. La Seine coule lente et p aresseuse ; les collines vont en s’étageant les unes derrière les autres ; les horizons fuient ; les nuages volent au ciel comme des cygnes et s entrouvrent pour laisser passer le soleil et la lumière, et tout cela est clair, net, abondant comme un flot de vie et de couleur. La vallée de Teinpé, tant célébrée (frigida Tempe), n’était point si délicieuse.

M. Corot a une singulière manière de voir la nature. Dans les rayons du soleil couchant, et avec les mille atômes qui se balancent dans un grain de lumière, il aperçoit des nymphes, des déesses, des figures nues et charmantes ; il voit des arbres bleus comme dans un conte de fées ; il a le sens si délié qu ’il compte toutes leurs branches ; il leur fait prendre des airs désolés, des airs joyeux, des airs mystiques, des airs voluptueux ; il les fait pleurer, il les fait sourire, il les anime. M. Corot est un païen ; je suis certain qu’il croit encore aux Hamadryades. Son Soleil couchant, son Souvenir de Ville d’Avray, son Concert, son Soir, sont pour un païen de bien agréables peintures. Je dirais volontiers de lui comme on le disait si joliment autrefois, que c’est un favori des Muses.

Il ne faut rien dédaigner, et surtout ne pas avoir de parti pris. Parce que je n’aime pas les natures mortes, ce n’est pas une raison pour que M. Saint-Jean n’ait pas beaucoup de talent. L’eau viendrait à la bouche d’un gourmand de voir son Panier de fraises renversé, ses Melons et Framboises, et toutes ces sensualités qu’il sait caresser d’un pinceau si riche, si haut en couleur, si appétissant. Le beau rouge, le beau bleu, le beau vert que M. Saint-Jean a sur sa palette. Les oiseaux de Zeuxis s’y tromperaient certainement, et viendraient becqueter la saveur de ces fruits. M. Saint-Jean a fait le dessert de l’Exposition, et l’a fait splendide. Merci, monsieur Saint-Jean !

Un fruitier tomberait en extase devant ses tableaux ; un boucher achèterait bien cher ceux de M. Palizzi et ses magnifiques moutons. Les belles bêtes ! quels yeux ! quels pieds ! quelles côtelettes ! Un aigle s’empêtrerait dans les touffes de aine qui couvrent ces larges dos.

Il faut bien aussi vous dire le nom de M. Brendel, un jeune Prussien de beaucoup de talent et d’avenir. J’ai rarement vu, même chez M. Palizzi, des moutons mieux réussis que ceux que M. Brendel a réunis dans une Bergerie à Barbison. L’atmosphère chaude et lourde de l’étable semble se dégager de cette toile et la couvrir de vapeur ; le jour entre amoindri par deux ou trois lucarnes percées à même dans le mur, et les râteliers regorgent d’herbe verte et parfumée.

M. Edmond Renault est aussi un débutant qui a l’étoffe d’un maître. Il a exposé l’Intérieur d’une écurie et Deux chevaux de hallage, qui sont certainement deux beaux animaux, bien en point, vigoureux, solides à la fatigue, bons à traîner bons à tirer et fort bien peints. Les étrilles, les couvertures, les accessoires sont