Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/289

Cette page n’a pas encore été corrigée
281
LE SALON DE 1857.

Comme ces peupliers sont bien venus, droits, élancés ! C’est une flèche qui part de terre et monte d’un seul élan vers le ciel. Ces inégalités de terrain sont admirables. Le sol ondule comme une mer légèrement émue, et sur ces hauteurs, dans ces bas-fonds, des peupliers partout et de l’ombre, de la fraîcheur, du silence. M. Daubigny en a une inépuisable provision ; il a aussi des rayons d’or, et des parfums, et du calme, comme dans le Soleil couché. M. Daubigny est, dès aujourd’hui, un de nos premiers paysagistes.

J’allais écrire le premier, mais j’ai pensé à M. Théodore Rousseau, et je me suis arrèté. Encore un enchanteur, un maître de.la lumière et des [ombres. Venez voir cette Prairie boisée au soleil couchant. Le soleil tombe là-bas et s’endort dans un flot de pourpre et de splendeur : c’est la fin d’une chaude soirée d’été. Pas un souffle de vent ne circule dans cette plaine tranquille ; ces bouquets de bois dressent, calmes et recueillis, leurs frondes reposées, et l’eau de cette petite mare scintille et tremble aux premiers rayons de la lune qui va s’avancer. Quelques bœufs, avant de rentrer à l’étable, s’abreuvent à longues gorgées de cette eau bienfaisante, et sur ses bords les grenouilles commencent leur concert nocturne. N’entendez-vous pas les tintements de leur cloche de cristal, comme disait ce pauvre de Musset, que M. Dumas est en train de calomnier ? Repos, paix et harmonie, voilà ce que chante l’hymne de ce tableau. — Travail, crainte et activité, voilà ce que dit la Matinée orageuse pendant la moisson. Le pré est tombé tout entier sous la faux, et on charge les gerbes. Mais ce point noir qui a commencé à l’horizon a vite grossi, et c’est un torrent de nuages qui roule sur les têtes effarées des paysans. À l’ouvrage donc, et vite, plus vite que ça ! Alerte les fauches ! Du cœur, les rateaux ! Si toute cette chevance n’est pas rentrée avant une heure, l’orage l’aura mouillée, et que de peines alors pour la sécher ! Combien de fois ne faudra-t-il pas encore la retourner sur ses bras, sans compter le dommage et le dégât qui peuvent en résulter ! Ils le savent bien, ces hommes robustes qui chargent les voitures ; aussi ils peinent et se hâtent. Pourtant les chevaux, enfoncés jusqu’au poitrail dans l’herbe, n’ont souci de cette agitation ; leur tête et leur crinière pendent entre leurs pieds de devant ; il sera temps pour eux de se réveiller au cri de Hue ! Alors ce sera leur tour ; jusque-là, ils dorment tout debout ; ils broient entre leurs dents nonchalantes une poignée de foin odorant. Voilà un drame saisissant et vrai : la moisson en danger, la peine du paysan, le souci du maître, l’orgueil de la grange menacé, le sac d’écus compromis ! M. Rousseau l’a raconté comme un Shakspeare.

M. Cabat est un paresseux : il n’a exposé que deux tableaux. Quand on a son talent, on devrait vivre les pinceaux à la main. Il a exposé deux chefs-d’œuvre, il est vrai, mais il aurait pu en exposer dix ; et dès lors il est impardonnable. Il nous montre l’Île de Croissy et les Bords de la Seine à Croissy. Je donnerais bien des choses pour ètre à la place de ce bonhomme étendu sous ce large noyer qui le