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LE PRÉSENT.

Voici un petit sentier qui s’enfuit tout droit devant nous. Il ne serpente pas, ce sentier, comme ceux d’autrefois ; nos agents-voyers y ont mis bon ordre, et presque partout nos chemins sont tirés au cordeau. Sur les deux bords de ce sentier verdoient les premières pousses de blé qui aient osé sortir de tette. Elles ont ce vert si tendre, si brillant, si délicat, des derniers jours de mars ou des premiers jours d’avril. Au milieu des blés s’élèvent des pommiers en fleurs, diaprés de blanc, poudrés à la maréchale comme une marquise de l’Œil-de-Bœuf. Les pommiers sentent bon ; leur parfum pénètre, et on se prend involontairement à savourer ces senteurs nouvelles, comme si elles n’étaient pas faites d’un peu de couleur et d’un coup de pinceau. Par le sentier s’avance une paysanne montée sur un àne, mon Dieu oui ! un vrai âne qui regarde de côté pour voir s’il ne trouve pas un chardon, et qui chemine paisiblement comme une bonne créature du bon Dieu qu’il est. Nous voilà bien loin, comme vous voyez, de la bergère à rubans et du berger rose-tendre. Philis est devenue Jeannette : qui pourrait s’en plaindre ? Vive Jeannette et Jean, l’âne qui la porte au marché ! — Je suis resté en extase, je l’accuse, devant cet excellent animal. On a un peu abusé du chameau à l’Exposition de cette année ; un étranger qui entrerait au Palais-de-l’Industrie se croirait certainement au salon de la Mecque, de Bagdad ou d’Ispahan. Ce ne sont que caravanes, chameaux couchés, chameaux en voyage, chameaux bien buvant, chameaux bien mangeant. L’âne de M. Daubigny m’a reposé ; je l’a salué comme un compatriote, et je lui ai dit bonjour comme à un ami. Artistes, artistes, il n’est point besoin de voyages au long cours pour avoir du talent ; l’Égypte est bien loin, et la France est bien près. Laissez là votre bâton, votre gourde et vos souliers ferrés ; mettez-vous sur le seuil de vos portes, il Suresne, ou à Meudon, ou à Romainville, et regardez. Notre soleil est aussi beau que celui du désert. — M. Daubigny fait ainsi, et il s’en trouve bien. Sa Vallée d’Optevo : est un autre chef-d’œuvre : le livret m’apprend pourtant qu’elle est dans l’Isère, qui n’est pas si loin de nous. Des deux côtés une berge escarpée, au milieu un ruisseau, des herbes flottant à la surface, et une escadrille de canards sortant à la file d’une petite anse et prenant le large, en voilà assez pour l’honneur de M. Daubigny et ma profonde satisfaction. Tout cela est si vert, si calme, si bien empâté par endroits, si sec et si vigoureux ailleurs ! Ces canards passent avec tant d’abandon et de confiance sur ces eaux si discrètes ! Je les reconnais.

Ils sont de la même basse-cour que l’âne de Jeannette ; ils sont bien emplumés, sans prétention ; ils portent bêtement et bravement leurs bonnes têtes de canards au large bec ; ils sont charmants. Croyez-vous que je ne les aime pas autant ces braves canards à qui j’ai jeté tant de pierres quand j’étais petit, qu’une autruche que je n’ai jamais vue qu’au Jardin des Plantes. J’en reviens à mon dire : il faut laisser reposer les chameaux et les autruches, revenir à nos moutons, à l’âne et à nos canards. — Qu’il ferait bon s’étendre sous cetie futaie de peupliers !