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LE PRÉSENT.

fiant qui était plein de toi ! Puisse celui pour qui tu m’as trahi ne jamais t’en faire repentir !

« Je pourrais me plaindre et t’ouvrir toute cette partie de moi-même que tu as mortellèment blessée et qui un moment a crié vengeance. Je ne le veux pas. A quoi bon ? Je préfère poser les deux mains sur la plaie, et te crier que je t’aime avec le peu de forces qui me reste. Ah ! Marguerite ! Marguerite ! Amour de mes yeux et de mon cœur ! Mon âme et ma vie ! Je t’ai perdue, je veux mourir.

« Pourquoi ne m’as tu pas aimé un peu ? Non pas comme je t’aimais, moi ; je ne demandais pas tant, mais un peu. Nous aurions pu vivre heureux. Pardonne-moi ce regret, j’ai dix-neuf ans, tu m’as dit quelquefois que tu m’aimais, et je vais mourir. Oui, tu me l’as dit quelquefois ; j’entends encore en moi le son de ta voix ; mais réponds-moi ou plutôt réponds à mon âme qui voltigera autour de toi, libre de son corps, quand tu recevras cette lettre, pourquoi me disais-tu cela et prenais-tu plaisir à me tromper ? Qu’est-ce qui te poussait ? Tu te moquais du Russe, du barbare, tu riais de ma crédulité ! Ah ! jeu cruel ! Tu as fait de mon cœur ce que font les enfants d’un pauvre oiseau pris dans leurs filets ; ils le torturent pour entendre ses cris. Entends-moi, entends-moi donc, Marguerite, et sois heureuse !

Moi homme, moi soldat, je pleure, je pleure en pensant à toi. Ô destinée ! Ô Providence ! Pourquoi m’avoir créé pour une pareille infortune ? J’étais libre et joyeux ; j’avais la richesse, la jeunesse de l’âme et du corps, la noblesse, tout ce qu’on envie au monde, je suivais mon drapeau, je poussais mon cheval dans le rang, et je n’avais souci que de frapper devant moi ; elle est venue, elle m’a regardé et elle s’est emparée de moi. Beaux yeux ! Lèvres charmantes ! Front pur et perfide, je ne vous verrai plus ; quoi ! plus jamais, jamais ! Oh ! je vous vois toujours ! Quoique tu fasses, Marguerite, tu ne peuxm’empêcher de posséder ton image au fond de ma pensée, d’avoir là, près de moi, dans ma froide cellule, ton fantôme chéri, et de plier le genou devant lui. Adoration ! Adoration ! Qui a jamais été aimée comme toi, Marguerite, et comment m’as-tu répondu ?

Ah ! que Dieu ne te punisse pas de tant de cruauté ! Avec ces yeux si doux, ces petites mains frêles, ces regards d’ange, tu m’as plus fait souffrir que ne le feront demain les douze rudes soldats qui m’achèveront. Que me font maintenant leurs fusils et leurs balles ? Le coup qui