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L’ANNÉE DES COSAQUES.

de l’armée alliée, et la salle était pleine de riches uniformes. Il était grave et pâle quand il entra ; des signes d’intérêt visible accueillirent son apparition. Les blessures du cœur trouvent toujours de la sympathie parmi les hommes. Qui n’a, parmi ceux qui ont vécu, quelque ancienne cicatrice toujours prête à se rouvrir et à saigner ?

Georges se tint debout devant le tribunal entre deux grenadiers. Il n’avait point de défenseur, il n’en avait pas voulu ; mais sa jeunesse extrême, sa beauté presque féminine, son regard triste et doux, son grand nom, un courage déjà souvent éprouvé et reconnu étaient de puissants avocats de son malheur.

Un vieux général présidait la commission.

— Votre nom ? demanda-t-il au jeune homme en adoucissant sa voix, habituée aux rudes et brèves paroles du commandement.

— Je suis le prince Georges Bariatinski.

— Votre âge ?

— Dix-neuf ans.

— Votre profession ?

— Officier attaché à l’état-major de l’Empereur.

— Vous êtes accusé d’avoir blessé en duel le comte Ostrowki.

Georges s’inclina.

— Vous ignoriez peut-être la défense de l’Empereur ?

— Non, répondit-il d’une voix ferme, je ne l’ignorais pas.

— Vous avez été provoqué par le comte ?

— Non, général, c’est moi qui ai été le provocateur.

— Le duel a eu lieu à l’issue d’un souper ; vous étiez peut-être soumis à une influence qui ne vous laissait point l’exercice libre et complet de votre raison ?

— J’étais aussi calme que je le suis en ce moment.

— Ne vous êtes-vous point levé de table aussitôt après l’offense faite ? Est-ce que vous avez eu le temps de la réflexion ?

— Oui, général, le rendez-vous a été pris à trois heures du matin, le combat a eu lieu à huit heures.

— Ainsi vous avouez que, en pleine possession de votre volonté et de votre réflexion, vous avez enfreint les ordres de l’Empereur ? Pensez-y bien, vous ne me paraissez point connaître toutes les conséquences de vos paroles.