Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/276

Cette page n’a pas encore été corrigée
268
LE PRÉSENT.

Il répéta le mot grossier lancé par le comte en soupant. Cela dit, il resta debout au pied du lit. Puis, après un instant, il continua :

— Vous m’avez entendu, ami ; me pardonnez-vous ?

L’accent de ces simples paroles était navrant.

— Si je te pardonne, mon pauvre enfant ! Ah ! ce n’est pas moi qui suis le plus à plaindre, je le sais bien ! va. Georges, mon ami, je suis content de te voir, j’ai un avis à te donner. L’empereur sait tout. Comment ? je l’ignore. Mais il faut que sa colère se passe : si l’on mettait maintenant la main sur toi, tu serais perdu. Cache-toi pendant quelque temps ; laisse le premier feu s’assoupir. Nous agirons, nous, pendant ce temps-là ; et alors tu reparaîtras. Mais, au nom du ciel, pas d’imprudence ; ne rentre pas chez toi, surtout. Tu n’y rentreras pas, tu me le promets, n’est-ce pas ?

— Je te le promets. Adieu, mon ami.

Georges sortit et se rendit chez lui. À sa porte, il trouva un officier des chevaliers-gardes qui sortait. L’officier le vit, détourna la tête. Il allait passer auprès de lui en feignant de ne pas l’apercevoir ; le prince vint à lui.

— C’est moi que vous cherchez, sans doute ?

— Ah ! prince, vous vous perdez de galté de cœur. Ouit c’est vous que je cherche. Prince Bariatinsky, au nom de l’empereur, rendez-moi votre épée.

Georges déboucla son ceinturon et tendit son épée à l’officier. Dans la lutte gigantesque de l’Europe contre Napoléon, le sang était trop précieux pour le répandre dans d’inutiles combats ; aussi le duel avait été sévèrement interdit dans l’armée russe. Il y allait de la tête pour enfreindre les ordres positifs d’Alexandre. Georges ne l’ignorait point, mais il courait lui-même au-devant de son sort. On le fit monter chez lui ; deux sentinelles furent placées à sa porte, et on lui enjoignit de se tenir prêt à paraître le lendemain devant un conseil de guerre.


XII
LE JUGEMENT.

Le lendemain, Georges parut devant ses juges. Le récit du dernier événement de son histoire s’était bien vite répandu parmi les officiers