Il répéta le mot grossier lancé par le comte en soupant. Cela dit, il resta debout au pied du lit. Puis, après un instant, il continua :
— Vous m’avez entendu, ami ; me pardonnez-vous ?
L’accent de ces simples paroles était navrant.
— Si je te pardonne, mon pauvre enfant ! Ah ! ce n’est pas moi qui suis le plus à plaindre, je le sais bien ! va. Georges, mon ami, je suis content de te voir, j’ai un avis à te donner. L’empereur sait tout. Comment ? je l’ignore. Mais il faut que sa colère se passe : si l’on mettait maintenant la main sur toi, tu serais perdu. Cache-toi pendant quelque temps ; laisse le premier feu s’assoupir. Nous agirons, nous, pendant ce temps-là ; et alors tu reparaîtras. Mais, au nom du ciel, pas d’imprudence ; ne rentre pas chez toi, surtout. Tu n’y rentreras pas, tu me le promets, n’est-ce pas ?
— Je te le promets. Adieu, mon ami.
Georges sortit et se rendit chez lui. À sa porte, il trouva un officier des chevaliers-gardes qui sortait. L’officier le vit, détourna la tête. Il allait passer auprès de lui en feignant de ne pas l’apercevoir ; le prince vint à lui.
— C’est moi que vous cherchez, sans doute ?
— Ah ! prince, vous vous perdez de galté de cœur. Ouit c’est vous que je cherche. Prince Bariatinsky, au nom de l’empereur, rendez-moi votre épée.
Georges déboucla son ceinturon et tendit son épée à l’officier. Dans la lutte gigantesque de l’Europe contre Napoléon, le sang était trop précieux pour le répandre dans d’inutiles combats ; aussi le duel avait été sévèrement interdit dans l’armée russe. Il y allait de la tête pour enfreindre les ordres positifs d’Alexandre. Georges ne l’ignorait point, mais il courait lui-même au-devant de son sort. On le fit monter chez lui ; deux sentinelles furent placées à sa porte, et on lui enjoignit de se tenir prêt à paraître le lendemain devant un conseil de guerre.
Le lendemain, Georges parut devant ses juges. Le récit du dernier événement de son histoire s’était bien vite répandu parmi les officiers