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LES ROIS EN VISITE.

Entre toutes les choses mobilesqui s’agitent dans la mobile et changeante nature, rien, je crois, n’est plus mobile d’humeurs, plus varié d’aspect, plus chatoyant de reflets divers, plus triste, plus gai, plus féroce, plus humain, plus croyant et plus sceptique, plus sentimental et plus railleur que ce bizarre peuple français dont je fais partie. Nous sommes par excellence le peuple caméléon. Il y a sept ou huit ans nous rêvions de Brutus, et nous jurions haine aux rois ; depuis deux ans déjà nous ne sommes occupés qu’à acheter des drapeaux de toutes couleurs, rouges, verts et jaunes, pour en orner nos maisons, et à nous porter au passage des Majestés et des Altesses de tous les coins de l’Europe, pour les étourdir de nos vivat !

La première qui soit venue poser ses pieds de satin sur le pavé remuant de Paris, c’est notre alliée de Crimée, Victoria, reine d’Angleterre. Elle a été reçue comme on reçoit une femme. Force bals, force collations, beaucoup de promenades ; la partie sérieuse, s’il y en eut une, a été admirablement dissimulée sous les draperies, le velours et les dentelles. On a passé une revue pour la forme, mais on a dansé sérieusement. L’archet de nos plus célèbres violons a fait presque tous les frais de ce nouveau camp du Drap d’Or.

Autant cette réception avait été galante et frivole, autant celle du roi de Piémont a été grave et sérieuse. Sa Majesté Victor-Amédée n’a guère sujet de rire : en effet, héritier de la défaite de Novare et de ces patriotiques douleurs qui mirent Charles-Albert au tombeau ; serré entre l’Autriche, qui lui tient l’épée au flanc, et la France, qui le protège, un peu malgré lui peut-être ; dévoré du désir de manger une nouvelle feuille de cet artichaut de la Lombardie auquel presque tous ses prédécesseurs ont porté la main, et contrarié dans son appétit par les baïonnettes croates et hongroises ; sanglé comme un soldat, toujours le pied à l’étrier ; la figure âpre et rude comme ces honnêtes Savoyards qui viennent chez nous avec cette perpétuelle et fine pensée de faire fortune ; caché derrière une