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CHRONIQUE.

avait soif ; l’estomac, l’esprit et le cœur s’ouvraient tout grands : Et à table, comme on s’en donnait ! Tout jaillissait du cœur comme un flot de vin vieux ! C’était mon bonheur à moi d’entendre ces calembours, ces farces, ces coqs-àl’àne qui n’étaient jamais indécents, mais toujours bêtes ! Et puis, je regardais ma voisine, celle qui avait le coin dans la rotonde ; je lui adressais avec une aile de perdreau un bout de compliment ; et tout le monde rentrait joyeux dans la baraque, on avait déjà fait connaissance ; les pieds se mêlaient, les bras s’agençaient, les os s’emboîtaient, impossible de remuer ! Mais les langues, dans leur étui, comme elles allaient, grand Dieu ! Que d’histoires, que de mensonges, que de médisances ! Enfin, on arrive à une côte ! On avait pitié des chevaux. Les pauvres bêtes ne pouvaient plus tirer ; Jacques ou François priait les voyageurs de descendre ! et moi, madame, j’osais vous offrir mon bras ! Ah ! vous souvenez-vous, comme la route était sablée, les oiseaux joyeux, le conducteur bavard, comme l’air était frais, le ciel pur, et tout le long, le long de la rivière, là-bas, les prés étaient-ils assez verts, la moisson assez blonde, le saule assez pâle ? J’eus presque envie de vous enlever. C’était romanesque ; il y manquait les brigands. Quelques voleurs par-ci par-là, vous étiez perdue, et je ne sais pas trop si Ménélas m’eût rattrapé ! Oh ! mes vieilles verdures ! ma vieille France !

Me pardonnerez-vous ce retour naïf vers les impressions de ma jeunesse ? Me laisserez-vous saluer cette malle-poste poudreuse qui emporte, frémissante et timide, la jeune épousée ? Comme il faisait bon effeuiller, loin du monde, je ne sais où, au refrain joyeux des rivières, ou des chansons qui passent, effeuiller sur le front pâle le bouquet d’oranger ! C’était doux, bon et chaste ! la brise emportait les paroles en les parfumant !

Et l’on rentrait quelques mois après à Paris, plus content et plus gai que moi, qui suis forcé de barbouiller d’encre les ailes brisées de ma jeunesse, pour dire quelque chose, en ce temps de disette et d’abandon.


La distribution des prix du concours général a eu lieu l’autre jour. C’est Louisle-Grand toujours qui tient la tête. Bonaparte s’est décidément posé en rival sérieux, et depuis quelque temps il pleut de ce côté-là des couronnes. C’est là qu’étaient jadis Lefebvre de Ponvalis, le jeune écrivain couronné par l’Académie pour son Étude sur Saint-Simon ; MM. Paradol, Caipe, le fils de M. Guizot et quelques autres lancés déjà bien avant sur le chemin de la réputation. Les noms des trois prix d’honneur sont : M. Godard pour les sciences (Louis-le-Grand), M. Ruffin pour la dissertation française en philosophie, M. Renault Morlière pour le discours latin de rhétorique. Seront-ils aussi heureux que leurs devanciers, et viendront-ils apporter dans le domaine de la vie publique, des travaux éclatants, des œuvres dignes de gloire ? Nous le souhaitons de tous nos vœux, et nous l’espérons bien ! Vous vaudrez vos ainés, jeunes gens, et peut-être trouverez-vous