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DE LA MORALITÉ EN LITTÉRATURE.

On a reproché à Balzac d’être immoral dans ses romans ; on s’en est pris au plus édifiant, au plus pur de ses livres, le Lys dans la vallée.

Balzac a répondu pour son compte, il répond en même temps pour vous, pour mei, pour tous les écrivains présents et futurs.

Le catholicisme consacre dans toutes ses institutions la grande lutte de la vie, le combat de la chair contre l’esprit, de la matière contre le divin. La religion est, suivant l’auteur du Médecin de campagne, « un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme. » Madame de Mortsauf, l’héroïne du Lys dans la vallée, est une expression de cette lutte constante. Si la chair ne poussait pas son dernier cri, Balzac n’eût pas fait une figure vraie à la fois et typique comme catholicité. Il faut remarquer que la victime triomphe, qu’elle meurt, l’âme dégagée de cette étreinte, et qu’elle meurt pure et sainte.

Venons à Vautrin. « Ce personnage, dit Balzac, qui représente la corruption, le bagne, le mal social dans toute son horreur, n’a rien de gigantesque. Je puis vous assurer que le modèle existe, qu’il est d’une épouvantable grandeur et qu’il a trouvé sa place dans le monde de nutre temps. Cet homme était tout ce qu’est Vautrin, moins la passion que je lui ai prêtée. Il était le génie du mal, utilisé d’ailleurs. »

Vautrin semble d’abord un héros ; Lucien de Rubempré paraît également prédestiné au bonheur ; on croit qu’il restera impuni… Mais tous deux se dégradent par l’effet naturel des passions et s’abîment… L’un finit par se pendre ; l’autre se fait mouchard et devient l’espion des forçats ses semblables. Quelle plus éloquente leçon, plus morale et plus salutaire, je vous le demande ?…

Question complexe que celle de la moralité des livres, poëmes ou romans !

Être vrai avant tout ! La vérité ne peut effrayer qui que ce soit ; elle ne peut égarer personne.

La statistique des vices, passions et immoralités de l’état social appartient de droit au poëte et au romancier ; mais il est nécessaire qu’il conclue. Croit-on qu’il y ait un homme vertueux sur deux ?… Croyez-vous à la perfection ?… Arriverait-on à changer la moralité d’une époque si tous les auteurs s’entendaient pour ne publier que des ouvrages comme ceux auxquels l’Académie accorde le prix Montyon ?… Un incrédule lit-il jamais les livres ascétiques, la Journée du chrétien, l’Imitation de Jésus-Christ ?…

Quiconque n’aime pas mieux, au lieu d’aller à la fortune, comme les roués et les fripons, se modeler sur les bons et les vertueux, semés avec plus de profusion dans les romans que dans le monde réel, celui-là est un homme sur qui les livres les plus catholiques, les plus moraux ne feront rien.

Vous verrez peu de gens ayant perdu le sens moral bien finir dans la vie i quoiqu’en apparence une certaine fatalité se permette l’affreuse plaisanterie contraire, celle de protéger des scélérats, — ce que le roman doit constater.