Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/253

Cette page n’a pas encore été corrigée
245
DE LA MORALITÉ EN LITTÉRATURE.

que cette satire perpétuelle montre à quels abîmes conduit la route du mal. Un argument aussi simple ne vaut que du dédain ; il faut déguiser, même le mal, sous les fleurs, au nom de l’idéal, au nom du beau convenu. C’est par cette pente que les plus grands esprits descendent fatalement au berquinisme, non pas ce berquinisme enfantin qui a son excuse dans sa naïveté, mais un autre musqué, ambré, ganté de jaune, qui arrive à remplacer les passions par les mièvreries du dandysme, les lions par des levrettes, les torrents et les cataractes par les cascades et les enjolivements du bois de Boulogne. Non, sans doute, la morale ne se prescrit pas, elle a ses droits éternels. Il y a une hygiène pour l’àme, pour l’esprit, comme il y a une hygiène pour le corps. La morale est, à mes yeux, l’hygiène intellectuelle qui préserve, et la santé spirituelle qui conserve, qui vivifie et qui immortalise les fruits de notre conception, quels qu’ils soient : poëmes, tableaux ou symphonies. La corruption, c’est la désagrégation, c’est la mort, c’est le néant.

Qu’on fasse la guerre à la littérature d’alcôve et aux romans écrits au patchouli et à la poudre de cantharide, rien de mieux ! Qu’on proteste contre l’invasion au théâtre, des dames aux camélias et des hercules de carrefours, et j’applaudirai ! Non pas qu’on puisse refuser, aux romanciers et aux dramaturges le droit de les peindre. C’est même leur devoir d’artistes, s’ils veulent rester dans le vrai ; mais il faut qu’ils les conduisent jusqu’au bout dans cette même réalité, au lieu de les poétiser ; il faut qu’ils les poussent au même dénoûment que leur fait la vie, au désenchantement, à l’épuisement et à la flétrissure. Là est la morale, là naît l’enseignement. Que l’on peigne sur le vif les mœurs des grandes villes, soit ! mais la crudité des tons dans ces tableaux de la vie intime ne peut ètre justifiée et expliquée que par la souveraineté du but, la moralité du dénoûment, et c’est justement ce dénoûment que les lecteurs ignorent quand, par exemple, un roman en cours de publication est suspendu dans un journal pour cause de moralité. Le fait s’est produit dernièrement plus d’une fois dans la presse départementale.

C’est là, du reste, un malentendu dont les plus illustres écrivains ont été victimes.

Si un philosophe vous dit : « Assassinez !… » et que vous lui coupiez la parole, le public ne manquera pas de dire qu’il a tenu école d’assassinat.

Si, au contraire, vous l’aviez laissé continuer, et s’expliquer, il aurait dit : «  Assassinez !… et vous serez condamné par les lois divines et humaines, et ce sera justice !… » Et le public proclamerait alors qu’il a prêché la morale.

Pourquoi donc interrompre le philosophe et condamner ses prémisses avant d’avoir entendu sa conclusion.

Hippolyte Castille, dans une critique de la Comédie humaine, publiée du vivant de son auteur, lui reprochait surtout d’avoir choisi ses types dans les exceptions, et d’avoir mis en scçpe plus de vices que de vertus.