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DE LA MORALITÉ EN LITTÉRATURE.

qui ne voulaient pas sortir du XVIIe siècle. De leur côté, les classiques s’enferraient en ne voyant que la forme essentiellement conservatrice chez des écrivains dont les généralisations étaient, au fond, essentiellement subversives, à commencer par Bossuet. C’était à qui se montrerait le plus homme de foi ; c’était à qui prêterait un nouvel étai à l’autel et au trône, et il se trouvait, en fin de compte, qu’on avait donné un nouveau gage au mouvement naissant, au remaniement des institutions. Ces grands conservateurs, ces écrivains qui parlaient une langue magistrale comme leur monarchie, préparaient, avec une conscience pleine de tranquillité, l’antichambre du xviiie siècle. Le doux Fénelon lui-même endormait avec le gâteau du quiétisme le cerbère à triple gueule, et l’on finissait par s’apercevoir qu’il avait réveillé le démon des hérésies. Le grand Corneille qui., par devoir, tenait à servir son Dieu et le grand roi, jetait, dans Polyeucte, ces magnifiques strophes qui apprenaient au peuple avec quelle facilité les monarchies pouvaient être foudroyées. La Bruyère lui-même, ce modèle de nos classiques, qu’on recommande à la jeunesse, était taxé d’immoralité pour avoir osé tracer, même après Théophraste, ses portraits et ses caractères. Les Aristarques l’accusaient avec des hauts cris d’avoir abaissé l’art au niveau de la critique et d’avoir peint des laideurs repoussantes, au lieu de s’attacher à peindre le beau.

Le beau primitif, le beau tel que l’entendaient les Grecs, tel que Platon l’a rêvé dans son immortel Banquet, voilà le grand cheval de bataille que la critique n’a cessé d’enfourcher depuis qu’elle guerroie en faveur de l’art et de la pensée. Elle conclut que c’est à la fois le principe et la condition sine quâ non du véritable sens moral. Ce phénix sans pareil a été couvé bien longtemps par les faiseurs d’esthétique et, en particulier, par les Kératry, les Jouffroy, les Cousin et les Damiron ; mais quand on est venu regarder de près dans leurs nids, si hauts qu’ils les aient construits, on n’a pas trouvé le moindre petit œuf. C’est que les théories, loin de précéder l’art, ne peuvent jamais en être que la conséquence, de même que la grammaire est la conséquence des langues.

Au fond, ce prétendu idéal de beauté, ce type primitif, n’est qu’une chose de convention et n’aboutit presque toujours qu’au maniérisme. Cela se conçoit. Il n’est et ne peut être que le décalque d’une tradition, que le pastiche des poëtes et des historiens qui nous en ont transmis les mœurs et les souvenirs. Nous prétendons faire revivre un monde que nous ne connaissons que par l’interprétation d’une lettre morte et nous sommes impuissants à peindre celui dans lequel nous vivons ! La prétention est au moins étrange. Aussi, les mœurs contemporaines ne tentent-elles que les écrivains vraiment observateurs et les artistes sérieux. Voilà pourquoi encore nous comptons tant de faux savants et tant d’archéologues qui se croient des écrivains.

Ce sont piécisément ces gardiens antédiluviens de la beauté primitive qui ont toujours à la bouche le rappel au sens moral. Hors de la Vénus de Milo, des