Page:Le Présent, année 1, tome 1, numéros 1 à 11, juillet à septembre 1857.djvu/239

Cette page n’a pas encore été corrigée
231
UN TRIO D’AMIS.

PANTAGRUEL.

Si je n’avais horreur d’un individu qui, a un âge mûr, se dénie lui-même, tout en ébranlant les saintes croyances de ses disciples. Tu m’objecteras le progrès ; mais à mesure que j’avance, je m’aperçois qu’il sert de prétexte à l’ambition. — Regarde comme l’œuvre de Dieu roule sans cesse à ses pieds dans une splendide uniformité ! — Je t’ai rencontré malheureux, ton mépris corsé des richesses au sortir de la privation te valut mon estime, illico suivie de mon amitié. Cette amitié la trouves-tu intelligente ? Rends-moi cette justice que je ne t’ai jamais rien offert en dehors du nécessaire.

JEAN, à part.

Hélas !

...Jean est un homme fortement trempé dans la lave des passions ; mes extraits doivent vous faire comprendre combien il souffre déjà de s être posé en philosophe austère et monosyllabique. Ses tourments vont s’accroître.

Après avoir évité l’exempt par une course rapide, Panurge, exténué comme un cerf longtemps poursuivi, vient s’abattre devant les deux promeneurs. Son costume philosophique est usé par le frottement des années ; mais sous cette étoffe, accessible au vent, il brave encore la dure adversité, et les proportions harmonieuses de son corps révèlent un homme hors ligne. À la vue de cette mâchoire qui travaille dans le vide comme sur un morceau de pain, Pantagruel se sent ému d’une pitié profonde. Panurge est restauré, réconforté, et lorsque, sous la douce influence de la nourriture et d’un généreux liquide, il commence à reprendre l’usage de ses facultés, son amphitryon lui demande qui il est et à quelle école philosophique il appartient. Alors Panurge, qui a compris Pantagruel, se développe avec une franchise, une ampleur et une gaieté admirables. Il professe les idées d’Épicure revues, corrigées et considérablement augmentées. Or, Pantagruel, provisoirement éclectique, admet tous les systèmes sincères. Il n’est pas fâché non plus de rencontrer un peu de gaieté et d’esprit, après avoir si longtemps essuyé le caractère morose et taciturne de Jean.

Le nouveau-venu reçoit de l’argent avec autorisation d’en user selon ses larges tendances. Vous voyez d’ici le supplice de Jean.

Voilà, je crois, le moment de vous dire la chanson de Panurge et la manière dont il manifeste ses besoins.

CHANSON DE PANURGE.

1er Couplet.

Lorsqu’il est las, le sage se résigne,
Il va s’asseoir. De nos hilares tours