On a souvent essayé de transplanter sur la scène quelques héros de Rabelais : D’abord c’est le Panurge dans l’île des Lanternes de Grétry ; c’est-à-dire Panurge marié, et qui fait naufrage sur des bords où habite un monde renversé comme une fraction, puisque les femmes déclarent leur amour, tandis que les hommes le subissent. Supputez sur vos doigts, si c’est possible, les nombreuses espérances de notre fameux coureur d’aventures. Il accepte de toutes parts les avances se reposant sur je ne sais trop quel hasard providentiel pour y faire honneur ; heureusement, la présence inopinée de sa femme légitime vient à point le délier d’obligations fabuleuses.
On a aussi représenté, sur le théâtre des Variétés je crois, un Gargantua immense et glouton, dévorant tout sur son passage : voisins, sabres et amis. Les spectateurs, dans la crainte d’une fin tragique, s’empressèrent de prendre la fuite.
Moutons de Panurge, Aventures de Panurge, Quart d’heure de Rabelais, Curé de Meudon, Pantagruel, autant d’essais du même genre suivis d’une réussite médiocre. Il ne faut cependant pas s’en étonner.
À mesure que nous avançons, Rabelais devient plus inabordable au théâtre. Le moyen, en effet, de soumettre aux complications croissantes de la scène des caractères si bien dessinés déjà qu’on ne peut, sans les travestir, leur prèter une parole ou un geste en dehors de leurs habitudes connues. Peut-on décemment marier Panurge, ce farceur éternel pour qui la recherche d’une femme légitime n’est qu’un prétexte à commentaires, à visites et à pérégrinations ? De même, il est difficile de se figurer Pantagruel entrain de séduire sous la figure d’un étudiant la fille d’un cabaretier. Pantagruel doué de la figure grande et calme d’un empereur débonnaire ne saurait intervenir que comme le Deus ex machina antique.
