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LE SALON DE 1857.

renverse ; il cingle d’un coup de fouet la pauvre femme qui l’implore les cheveux épars, et hurrah ! toute la chasse le suit comme une meute d’enfer. Les chiens sautent par-dessus la barrière et plongent dans le blé, les chevaux se cabrent ouallongent des bonds désespérés ; le cor anime de ses notes sonores bêtes et gens, chiens et chevaux. Les plumes des bonnets se tordent au vent, les naseaux fument et rougissent comme une forge en feu, la fureur de la chasse emporte tout ce monde ! Qu’importe la moisson ! Le cerf n’a pas une heure à vivre. M. Henneberg a mis dans cette toile un entrain et une verve incomparables. Venu aux beaux temps romantiques, on l’eût proclamé un homme de génie ; aujourd’hui, plus modérés, nous nous contenterons de lui dire qu’il a fait un beau tableau.

M. Mazerolle a droit aussi à des éloges. Il a peint Chilperic et Frédégonde devant le cadavre de Galsuinthe. La tête de Chilpéric est admirable. Avec sa longue barbe noire mal peignée, ses yeux mornes et féroces, ses cheveux épais et légèrement crépus, c’est un type de force et de cruauté. Il a une main posée sur l’épaule de Frédégonde, debout auprès de lui ; l’autre appuyée sur un lit de repos, où il est à moitié couché. Il regarde d’un air hébété le cadavre étendu devant lui. Plus intelligente, Frédégonde est plus accessible aux remords. Sous ses bandeaux de cheveux noirs, on dirait une de ces Parques impitoyablesqui n’obéissent qu’au Destin. Aussi son émotion n’est que l’émotion d’un moment, c’est un éclair, il est déjà passé.

Reposons-nousde ces horreurs. M. Gendron nous emmène à Venise et nous y montre de Jeunes patriciennes achetant des étoffes à un marchand levantais. Voilà qui n’a rien que de coquet et de gracieux. Des deux jeunes filles, l’une est debout et manie, d’un air indifférent, une magnifique étoffe ; l’autre est accroupie et fait ruisseler sur ses doigts les perles d’un splendide collier. Toutes deux sont jolies, et nonchalamment coquettes, blasées de robes et de bijoux, attendent, pour se décider, l’éclair d’un caprice. Le marchand, au contraire, est tout feu et tout zèle. M. Gendron l’a vêtu comme un seigneur. Les plus riches couleurs se fondent et s’harmonisent dans son élégant costume. L’intelligence pétille dans ses yeux, la finesse a creusé son nid dans les plis de ses lèvres, la malice et l’amour du gain ont ridé son front. Il parle de tout le corps, avec les doigts comme avec la langue. Cette étoffe, sans doute, est de trois mille sequins, car il lève trois doigts de la main droite ; et, véritablement, c’est pour rien, semble-t-il dire. La place est encombrée de marchandises et de ballots. Un greffier en écrit le nombre et le poids, car on les pèse dans une balance établie en l’air. Deux enfants regardent d’un air d’envie un magot chinois, curiosité exotique débarquée au milieu des étoffes, et la lumière inonde toute cette scène vraiment vénitienne. Paul Véronèse en eût souri.

De Venise à Athènes, il n’y a qu’un pas ; de Venise allons à Athènes, et de M. Gendron à M. Mottez. M. Mottez n’aime point Mélitus, l’accusateur de Socrate,