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LE PRÉSENT.

Il tomba, rit et mourut, disaient les chants des vieux pirates du Nord ; ainsi fait ce vieil enfant du drapeau. Tel est le premier plan. Les Français arrivent par deux gorges, comme un double torrent au confluent duquel serait le colonel Collineau, centre du bas du tableau. Les deux gorges sont encombrées de combattants. Ici, à gauche, dans un angle, est une pièce qu’il s’agit d’enclouer. Un artilleur arrive à toutes jambes, fouillant d’une main dans une sorte de besace pleine de clous, brandissant un marteau de l’autre ; des camarades l’ont devancé, et, sur le canon même, égorgent ses servants et ses défenseurs. Les armes ordinaires sont faussées ou hors de service. C’est un abordage. On combat à coups de hache et d écouvillon brisé ; ou bien on se saisit à la gorge, et les doigts frémissants entrent dans la chair vive. À droite, autre débordement. L’aigle et le drapeau font leur entrée majestueusement comme dans une des bonnes villes de l empire ; pas un souffle de vent n’agite ces plis immobiles, et cependant, sous l’étoffe symbolique et sacrée, les armes luisent, l’orage gronde, la bataille fait fureur. Ce drapeau rappelle, par son calme, ces cimes des montagnes dont le front dépasse les tempètes, et dont la paix défie le tumulte des vents. Entre ces deux ouvertures, qui donnent passage à nos troupes, s’élève un rempart de terre à moitié détruit et dominant l’action. Au sommet, d’un côté, le général Mac-Mahon plante son épée dans la terre conquise et jette un regard tranquille sur la fureur du combat ; de l’autre, Lihaut, cet enfant de Paris, fait flotter un reste de soie criblé de balles et de mitraille, drapeau de son régiment. Aux pieds du général une bombe éclate, et un officier tombe blessé à mort. À l’extrême droite et à l’extrême gauche, deux autres mamelons ont été escaladés. Sur l’un on voit arriver un régiment de ligne, le colonel en tête ; sur l’autre, quatre clairons de zouaves envoient aux quatre coins de l’horizon un appel de secours et des clameurs guerrières. C’est un admirable groupe. Ces quatre hommes soufflent comme des Tritons dans le cuivre. Auprès d’eux, un autre zouave ramasse un éclat d’obus et le jette au-dessous de lui, sur la tête d’un Russe. Par delà ce champ de bataille, dans la plaine, des troupes s’échelonnent, des régiments de renfort s’avancent, on les voit accourir ; un général lève son épée et les entraîne sur ses pas. Un moment encore, et Malakoff està nous. Dans cette rapide esquisse à la plume, je ne puis rendre que bien imparfaitement l’ensemble du tableau ; à peine puis-je indiquer quelques détails ; mais ce qu’il m’est impossible de montrer, c’est la furie, c’est l’élan, c’est l’emportement de courage qui donne des ailes à chacun des hommes pour le lancer en avant. Il n’est pas un de ces soldats dont le mouvement soit le même ; il n’est pas un de ces mouvements divers qui ne concoure à l’effet général. Les poses les plus forcées, et dans ce pêle-mêle il y en a beaucoup, sont rendues au naturel et au vif. Toutes ces têtes sont pétillantes de vie et de réalité. La couleur est chaude et correcte, le dessin juste ; l’inspiration anime et enlève chaque partie de l’œuvre. J’ai entendu regretter que cet espace de terrain, occupé entre les deux